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encore, de monsieur son père ; mais malgré toute sa dévotion, il n’eut pas la patience d’attendre jusqu’à la nuit pour s’en débarrasser, et il en fut longtemps malade. Il ajoutait qu’il ne pensait pas qu’il y eût ardeur de jeunesse si violente, que l’usage de ce moyen ne puisse contenir ; il ne semble pas toutefois s’être, en cette occasion, trouvé aux prises avec celle de ces satisfactions produisant les sensations les plus aiguës, car l’expérience montre que l’émotion qui en résulte persiste bien souvent, si rudes et si misérables que soient les vêtements que l’on a, et que les haires ne font pas toujours de pauvres hères de ceux qui les portent.

Xénocrate employa un procédé plus énergique. Ses disciples, pour éprouver sa continence, avaient, à la dérobée, fait entrer dans son lit Laïs, la belle et fameuse courtisane ; elle y avait pris place absolument nue, n’ayant que sa beauté pour arme et ses folâtres appȧts comme philtres. Le philosophe sentant que son corps, demeuré jusqu’alors inaccessible aux tentations de cette nature, commençait à se mutiner en dépit de ses raisonnements et des règles qu’il s’était imposées, se fit brûler les organes qui avaient prêté l’oreille à cette rébellion. Quand les passions qui occupent l’âme, la tiennent seule, à l’exclusion du corps, comme font l’ambition, l’avarice et autres, elles créent beaucoup plus de difficultés à la raison qui, pour les dominer, n’a d’aide à attendre que d’elle-même ; en outre, loin d’être susceptibles de satiété, ces passions s’avivent et augmentent par le fait même des satisfactions qui leur sont données.

Chez quelques-uns, l’ambition est plus indomptable que l’amour ; César en a été un exemple. — L’exemple de Jules César pourrait à lui seul suffire à nous montrer combien ces appétits diffèrent ; car jamais homme ne fut plus adonné aux plaisirs de l’amour. Le soin minutieux qu’il avait de sa personne, en témoigne ; il allait jusqu’à user des moyens les plus lascifs qui étaient en usage à cette époque, comme de se faire épiler tout le corps et farder de parfums spéciaux dont l’emploi était excessivement rare. De sa personne, si nous nous en rapportons à Suétone, il était bel homme, avait le teint blanc, était de haute taille et bien proportionné ; le visage était bien plein ; il avait les yeux bruns et vifs ; sous bien des points, les statues que l’on voit de lui à Rome, s’écartent de ce portrait. Outre ses femmes légitimes, et il en changea quatre fois, et sans compter les rapports amoureux que, dans sa jeunesse, il eut avec Nicomède roi de Bithynie, Cléopâtre, cette reine d’Egypte si fameuse, perdit avec lui sa virginité, et de leurs relations naquit le petit Césarion ; il fit aussi l’amour avec Eunoé, reine de Mauritanie ; à Rome, avec Posthumia femme de Servius Sulpitius, Lollia femme de Gabinius, Tertulla femme de Crassus, et même avec Mutia femme du grand Pompée, ce qui fut cause, disent les historiens romains, que son mari la répudia ; Plutarque déclare ignorer ce Tait, mais les Curions, le fils comme le père, ont plus tard reproché à Pompée, quand il épousa la fille de César, de