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pourfendit du sommet de la tête en bas, si bien que le corps s’en trouva séparé en deux parties ». Dans l’exemple donné par Bodin, je ne trouve rien de bien miraculeux et je n’admets pas l’excuse qu’il invoque pour disculper Plutarque, qui aurait ajouté à son récit les mots « à ce que l’on dit », pour nous avertir de nous garder d’y croire d’une façon absolue, comme si, en dehors de ce qui s’impose à nous par son antiquité et le respect du aux traditions religieuses, il ne voulait ni accepter, ni nous proposer d’ajouter foi à des choses incroyables par elles-mêmes. Ces mots : « à ce que l’on dit », ne sont pas là dans ce but ; ce qui le prouve, c’est qu’aussitôt après, toujours à propos du courage avec lequel les enfants de Lacédémone supportaient la souffrance, il nous cite des faits plus incroyables encore, arrivés de son temps, comme, par exemple, celui qu’avant lui, Cicéron avait déjà relaté et « dont il avait, a-t-il dit, été témoin sur les lieux mêmes ». Encore à cette époque, écrit Plutarque, il y avait des enfants qui, dans les épreuves qu’à cet égard on leur faisait subir devant l’autel de Diane, supportaient d’être fouettés jusqu’à ce que le sang leur coulât de tout le corps et qui non seulement ne jetaient pas un cri, mais ne poussaient même pas un gémissement ; il y en eut même qui, consciemment, se laissèrent ainsi fouetter jusqu’à en mourir. — Plutarque raconte encore, après cent autres qui en ont été témoins, ce fait qui a le même caractère : Un enfant de Sparte, dans la manche duquel un charbon ardent avait glissé pendant qu’il encensait, se laissa brûler le bras, au point que l’odeur de viande grillée saisit les assistants. — Il était dans les mœurs de ce peuple de ne rien mettre au-dessus de sa réputation, et rien n’y attirait plus de blâme et de honte que d’être surpris en flagrant délit de vol, ce qui explique la constance de celui se laissant déchirer par son renard. Je suis si convaincu de la grandeur d’âme de tels hommes que, loin de me paraître incroyable comme l’estime Bodin, le fait raconté par Plutarque ne me semble ni rare, ni étrange. L’histoire de Sparte est pleine de mille exemples plus rudes encore et qui se rencontrent rarement chez les autres nations ; à ce compte, elle serait miracle d’un bout à l’autre.

Ammien Marcellin raconte, sur cette question de vol, que de son temps on n’avait pas encore trouvé de tortures capables de contraindre seulement à faire dire leurs noms aux Egyptiens qui étaient surpris dans la perpétration de ce méfait dont ils étaient coutumiers.

Un paysan espagnol, mis à la torture pour obtenir de lui qu’il dénoncât les complices du meurtre du préteur Lucius Pison, criait, au milieu des tourments, « que ses amis n’eussent pas à s’inquiéter, qu’ils pouvaient assister en toute assurance à son supplice ; qu’il n’était pas au pouvoir de la douleur de lui arracher la moindre révélation ». Le premier jour, on ne put rien tirer autre de lui ; le lendemain, comme on l’amenait pour le torturer à nouveau, s’arrachant violemment des mains de ses gardiens, il alla donner de la tête contre un mur et se tua.