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richesse et despence excessiue, que ie n’en croiroy aucun tesmoignage au contraire. Et d’auantage, il est bien plus raisonnable, de croire en telles choses les historiens Romains, que les Grecs et estrangers. Or Tacitus et les autres, parlent tres-honorablement, et de sa vie et de sa mort et nous le peignent en toutes choses personnage tres-excellent et tres-vertueux. Et ie ne veux alleguer autre reproche contre le iugement de Dion, que cestuy-cy, qui est ineuitable c’est qu’il a le sentiment si malade aux affaires Romaines, qu’il ose soustenir la cause de Julius Cæsar contre Pompeius, et d’Antonius contre Cicero.Venons à Plutarque. Iean Bodin est vn bon autheur de nostre temps, et accompagné de beaucoup plus de iugement que la tourbe des escriuailleurs de son siecle, et merite qu’on le iuge et considere. Ie le trouue vn peu hardy en ce passage de sa Methode de l’histoire, où il accuse Plutarque non seulement d’ignorance (surquoy ie l’eusse laissé dire : car cela n’est pas de mon gibier), mais aussi en ce que cet autheur escrit souuent des choses incroyables et entierement fabuleuses (ce sont ses mots). S’il eust dit simplement, les choses autrement qu’elles ne sont, ce n’estoit pas grande reprehension : car ce que nous n’avons pas veu, nous le prenons des mains d’autruy et à credit : et ie voy qu’à escient il recite par fois diuersement mesme histoire comme le iugement des trois meilleurs capitaines qui. eussent onques esté, faict par Hannibal, il est autrement en la vie de Flaminius, autrement en celle de Pyrrhus. Mais de le charger d’auoir pris pour argent content, des choses incroyables et impossibles, c’est accuser de faute de iugement, le plus iudicieux autheur du monde.Et voicy son exemple : Comme, ce dit-il, quand il recite qu’vn enfant de Lacedemone se laissa deschirer tout le ventre à vn renardeau, qu’il auoit desrobé, et le tenoit caché soubs sa robe, iusques à mourir plustost que de descouurir son larecin. le trouue en premier lieu cet exemple mal choisi d’autant qu’il est bien malaisé de borner les efforts des facultez de l’ame, là où des forces corporelles, nous auons plus de loy de les limiter et cognoistre. Et à cette cause, si c’eust esté à moy à faire, i’eusse plustost choisi vn exemple de cette seconde sorte et il y en a de moins croyables. Comme entre autres, ce qu’il recite de Pyrrhus, que tout blessé qu’il estoit, il donna si grand coup d’espée à vn sien ennemy armé de toutes pieces, qu’il le fendit du haut de la