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ment des armes a faict perdre, engagés sous leur pesanteur, ou froissez et rompus, ou par vn contre-coup, ou autrement. Car il semble, à la verité, à voir le poix des nostres et leur espesseur, que nous ne cherchons qu’à nous deffendre, et en sommes plus chargez que couuers. Nous auons assez à faire à en soustenir le faix, entranez et contraints, comme si nous n’auions à combattre que du choq de nos armes et comme si nous n’auions pareille obligation à les deffendre, qu’elles ont à nous. Tacitus peint plaisamment des gens de guerre de nos anciens Gaulois, ainsin armez pour se maintenir seulement, n’ayans moyen ny d’offencer ny d’estre offencez, ny de se releuer abbatus. Lucullus voyant certains hommes d’armes Medois, qui faisoient front en l’armée de Tigranes, poisamment et malaisément armez, comme dans vne prison de fer, print de là opinion de les deffaire aisément, et par eux commença sa charge et sa victoire. Et à présent que nos mousquetaires sont en credit, ie croy qu’on trouuera quelque inuention de nous emmurer pour nous en garentir, et nous faire trainer à la guerre enfermez dans des bastions, comme ceux que les anciens faisoient porter à leurs elephans. Cette humeur est bien esloignée de celle du ieune Scipion, lequel accusa aigrement ses soldats, de ce qu’ils auoyent semé des chausse-trapes soubs l’eau à l’endroit du fossé, par où ceux d’vne ville qu’il assiegeoit, pouuoient faire des sorties sur luy disant que ceux qui assailloient, deuoient penser à entreprendre, non pas à craindre. Et craignoit auec raison que cette prouision endormist leur vigilance à se garder. Il dict aussi à vn ieune homme, qui luy faisoit montre de son beau bouclier : Il est vrayement beau, mon fils, mais vn soldat Romain doit auoir plus de fiance en sa main dextre, qu’en la gauche.Or il n’est que la coustume, qui nous rende insupportable la charge de nos armes.

L’husbergo in dosso haueano, et l’elmo in testa,
Duo di quelli guerrier d’i quali io canto.
Ne notte o di doppo ch’entraro in questa
Stanza, gl’haueano mai mesi da canto,
Che facile à portar comme la vesta
Era lor, perchè in vso l’hauean tanto.

L’Empereur Caracalla alloit par païs à pied armé de toutes pieces, conduisant son armée. Les pietons Romains portoient non seulement le morion, l’espée, et l’escu : car quant aux armes, dit Cicero, ils estoient si accoustumez à les auoir sur le dos, qu’elles ne les empeschoient non plus que leurs membres : arma enim, membra militis