Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/594

Cette page n’a pas encore été corrigée

ses apprests, le vieil en iouïr, disent les sages. Et le plus grand vice qu’ils remerquent en nous, c’est que noz desirs raieunissent sans cesse. Nous recommençons tousiours à viure.Nostre estude et nostre enuie deuroyent quelque fois sentir la vieillesse. Nous auons le pied à la fosse, et noz appetis et poursuites ne font que naistre.

Tu secanda marmora
Locas sub ipsum funus, et, sepulcri
Immemor, struis domos.

Le plus long de mes desseins n’a pas vn an d’estendue : ie ne pense desormais qu’à finir : me deffay de toutes nouuelles esperances et entreprinses : prens mon dernier congé de tous les lieux, que ie laisse et me depossede tous les iours de ce que i’ay. Olim iam nec perit quicquam mihi, nec acquiritur, plus superest viatici quàm viæ.

Vixi, et quem dederat cursum fortuna peregi.

C’est en fin tout le soulagement que ie trouue en ma vieillesse, qu’elle amortist en moy plusieurs desirs et soings, dequoy la vie est inquietée. Le soing du cours du monde, le soing des richesses, de la grandeur, de la science, de la santé, de moy. Cettuy-cy apprend à parler, lors qu’il luy faut apprendre à se taire pour iamais. On peut continuer à tout temps l’estude, non pas l’escholage. La sotte chose, qu’vn vieillard abecedaire !

Diuersos diuersa iuuant, non omnibus annis
Omnia conueniunt.

S’il faut estudier, estudions vn estude sortable à nostre condition : afin que nous puissions respondre, comme celuy, à qui quand on demanda à quoy faire ces estudes en sa decrepitude : À m’en partir meilleur, et plus à mon aise, respondit-il. Tel estude fut celuy du ieune Caton, sentant sa fin prochaîne, qui se rencontra au discours de Platon, de l’eternité de l’ame. Non, comme il faut croire, qu’il ne fust de long temps garny de toute sorte de munition pour vn tel deslogement. D’asseurance, de volonté ferme, et d’instruction, il en auoit plus que Platon n’en a en ses escrits. Sa science et son courage estoient pour ce regard, au dessus de la philosophie. Il print cette occupation, non pour le seruice de sa mort, mais comme celuy qui n’interrompit pas seulement son sommeil, en l’importance d’vne telle deliberation, il continua aussi sans choix et sans changement, ses estudes, auec les autres actions accoustumées de sa vie. La nuict, qu’il vint d’estre refusé de la Pre-