Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/578

Cette page n’a pas encore été corrigée

ter, et à fuir les officiers de la iustice, qui nous suyuent et luy est en repos. Le tuer, est bon pour euiter l’offence à venir, non pour venger celle qui est faicte. C’est vne action plus de crainte, que de brauerie : de precaution, que de courage de defense, que d’entreprinse. Il est apparent que nous quittons par là, et la vraye fin de la vengeance, et le soing de nostre reputation. Nous craignons, s’il demeure en vie, qu’il nous recharge d’vne pareille. Ce n’est pas contre luy, c’est pour toy, que tu t’en deffais. Au Royaume de Narsingue cet expedient nous demeureroit inutile. Là, non seulement les gents de guerre, mais aussi les artisans, demeslent leurs querelles à coups d’espée. Le Roy ne refuse point le camp à qui se veut battre : et assiste, quand ce sont personnes de qualité : estrenant le victorieux d’vne chaisne d’or : mais pour laquelle conquerir, le premier, à qui il en prend enuie, peut venir aux armes auec celuy qui la porte. Et pour s’estre desfaict d’vn combat, il en a plusieurs sur les bras.Si nous pensions par vertu estre tousjours maistres de nostre ennemy, et le gourmander à nostre poste, nous serions bien marris qu’il nous eschappast, comme il faict en mourant. Nous voulons vaincre plus seurement qu’honorablement. Et cherchons plus la fin, que la gloire, en nostre querelle.Asinius Pollio, pour vn honneste homme moins excusable, representa vne erreur pareille qui ayant escript des inuectiues contre Plancus, attendoit qu’il fust mort, pour les publier. C’estoit faire la figue à vn aucugle et dire des pouïlles à vn sourd, et offenser vn homme sans sentiment plustost que d’encourir le hazard de son ressentiment. Aussi disoit on pour luy, que ce n’estoit qu’aux lutins de luitter les morts. Celuy qui attend à veoir trespasser l’autheur, duquel il veut combattre les escrits, que dit-il, sinon qu’il est foible et noisif ? On disoit à Aristote, que quelqu’vn auoit mesdit de luy Qu’il face plus, dit-il, qu’il me fouette, pourueu que ie n’y soy pas.Nos peres se contentoyent de reuencher vne iniure par vn démenti, vn démenti par vn coup, et ainsi par ordre. Ils estoient assez valeureux pour ne craindre pas leur aduersaire, viuant, et outragé. Nous tremblons de frayeur, tant que nous le voyons en pieds. Et qu’il soit ainsi, nostre belle pratique d’auiourdhuy, porte elle pas de poursuyure à mort, aussi bien celuy que nous auons offencé, que celuy qui nous a offencez ? C’est aussi vne espece de lascheté, qui a introduit en nos combats singuliers,