Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/576

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Nec nisi bellantis gaudet ceruice iuuenci,

s’arreste à voir l’ennemy à sa mercy. Mais la pusillanimité, pour dire qu’elle est aussi de la feste, n’ayant peu se mesler à ce premier rolle, prend pour sa part le second, du massacre et du sang. Les meurtres des victoires, s’exercent ordinairement par le peuple, et par les officiers du bagage. Et ce qui fait voir tant de cruautez inouies aux guerres populaires, c’est que cette canaille de vulgaire s’aguerrit, et se gendarme, à s’ensanglanter iusques aux coudes, et deschiqueter vn corps à ses pieds, n’ayant resentiment d’autre vaillance.

Et lupus et turpes instant morientibus vrsi,
Et quæcunque minor nobilitale fera est.

Comme les chiens coüards, qui deschirent en la maison, et mordent les peaux des bestes sauuages, qu’ils n’ont osé attaquer aux champs. Qu’est-ce qui faict en ce temps, nos querelles toutes mortelles ? et que là où nos peres auoyent quelque degré de vengeance, nous commençons à cette heure par le dernier : et ne se parle d’arriuée que de tuer ? Qu’est-ce, si ce n’est coüardise ? Chacun sent bien, qu’il y a plus de brauerie et desdain, à battre son ennemy, qu’à l’acheuer, et de le faire bouquer, que de le faire mourir. D’auantage que l’appetit de vengeance s’en assouuit et contente mieux : car elle ne vise qu’à donner ressentiment de soy. Voyla pourquoy, nous n’attaquons pas vne beste, ou vne pierre, quand elle nous blesse, d’autant qu’elles sont incapables de sentir nostre reuenche. Et de tuer vn homme, c’est le mettre à l’abry de nostre offence. Et tout ainsi comme Bias crioit à vn meschant homme, le sçay que tost ou tard tu en seras puny, mais ie crains que ie ne le voye pas et plaignoit les Orchomeniens, de ce que la penitence que Lyciscus eut de la trahison contre eux commise, venoit en saison, qu’il n’y auoit personne de reste, de ceux qui en auoient esté interessez, et ausquels deuoit toucher le plaisir de cette penitence. Tout ainsin est à plaindre la vengeance, quand celuy enuers lequel elle s’employe, pert le moyen de la souffrir. Car comme le vengeur y veut voir, pour en tirer du plaisir, il faut que celuy sur lequel il se venge, y voye aussi, pour en receuoir du desplaisir, et de la repentance. Il s’en repentira, disons nous. Et pour luy auoir donné d’vne pistolade en la teste, estimons nous qu’il s’en repente ? Au rebours, si nous nous en prenons garde, nous trouuerons qu’il nous fait la moue en tombant. Il ne nous en sçait pas seulement mauuais gré, c’est bien loing de s’en repentir. Et luy prestons le plus fauorable de touts les offices de la vie, qui est de le faire mourir promptement et insensiblement. Nous sommes à conniller, à trot-