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Moluch, Roy de Fais, qui vient de gaigner contre Sebastian Roy de Portugal, cette iournée, fameuse par la mort de trois Roys, et par la transmission de cette grande couronne, à celle de Castille : se trouua grieuement malade dés lors que les Portugalois entrerent à main armée en son estat ; et alla tousiours depuis en empirant vers la mort, et la preuoyant. Iamais homme ne se seruit de soy plus vigoureusement, et brauement. Il se trouua foible, pour soustenir la pompe ceremonieuse de l’entrée de son camp, qui est selon leur mode, pleine de magnificence, et chargée de tout plein d’action : et resigna cet honneur à son frere. Mais ce fut aussi le seul office de Capitaine qu’il resigna : touts les autres necessaires et vtiles, il les feit tres-glorieusement et exactement. Tenant son corps couché : mais son entendement, et son courage, debout et ferme, iusques au dernier souspir : et aucunement audelà. Il pouuoit miner ses ennemis, indiscretement aduancez en ses terres : et luy poisa merueilleusement, qu’à faute d’vn peu de vie, et pour n’auoir qui substituer à la conduitte de cette guerre, et affaires d’vn estat troublé, il eust à chercher la victoire sanglante et hazardeuse, en ayant vne autre pure et nette entre ses mains. Toutesfois il mesnagea miraculeusement la durée de sa maladie, à faire consumer son ennemy, et l’attirer loing de son armée de mer, et des places maritimes qu’il auoit en la coste d’Affrique : iusques au dernier iour de sa vie, lequel par dessein, il employa et reserua à cette grande iournée. Il dressa sa bataille en rond, assiegeant de toutes pars l’ost des Portugais ; lequel rond venant à se courber et serrer, les empescha non seulement au conflict, qui fut tres aspre par la valeur de ce ieune Roy assaillant, veu qu’ils auoient à montrer visage à tous sens : mais aussi les empescha à la fuitte apres leur routte. Et trouuants toutes les issues saisies, et closes ; furent contraints de se reietter à eux mesmes : coaceruanturque non solum cæde, sed etiam fuga, et s’amonceller les vns sur les autres, fournissants aux vaincueurs vne tres-meurtriere victoire, et tres-entiere. Mourant, il se feit porter et tracasser où le besoing l’appelloit : et coulant le long des files, enhortoit ses Capitaines et soldats, les vns apres les autres. Mais vn coing de sa battaille se laissant enfoncer, on ne le peut tenir, qu’il ne montast à cheual l’espée au poing. Il s’efforçoit pour s’aller mesler, ses gents l’arrestants, qui par la bride, qui par sa robbe, et par ses estriers. Cet effort acheua d’accabler ce peu de vie, qui luy restoit. On le recoucha. Luy se resuscitant comme en sursaut de cette pasmoison, toute autre faculté luy deffaillant ; pour aduertir qu’on teust sa mort (qui estoit le plus necessaire