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tueuses. Il auoit honte si en public on le voyoit cracher ou suer (ce qu’on dit aussi de la ieunesse Lacedemonienne, et Xenophon de la Persienne) par ce qu’il estimoit que l’exercice, le trauail continuel, et la sobrieté, deuoient auoir cuit et asseché toutes ces superfluitez. Ce que dit Seneque ne ioindra pas mal en cet endroict, que les anciens Romains maintenoient leur ieunesse droite : ils n’apprenoient, dit-il, rien à leurs enfans, qu’ils deussent apprendre assis.C’est vne genereuse enuie, de vouloir mourir mesme vtilement et virilement mais l’effect n’en gist pas tant en nostre bonne resolution, qu’en nostre bonne fortune. Mille. ont proposé de vaincre, ou de mourir en combattant, qui ont failli à l’vn et à l’autre les blesseures, les prisons, leur trauersant ce dessein, et leur prestant vne vie forcée. Il y a des maladies, qui atterrent iusques à noz desirs, et nostre cognoissance. Fortune ne deuoit pas seconder la vanité des legions Romaines, qui s’obligerent par serment, de mourir ou de vaincre. Victor, Marce Fabi, reuertar ex acie : si fallo, Iouem patrem Gradiuúmque Martem aliosque iratos inuoco Deos. Les Portugais disent, qu’en certain endroit de leur conqueste des Indes ils rencontrerent des soldats, qui s’estoyent condamnez auec horribles execrations, de n’entrer en aucune composition, que de se faire tuer, ou demeurer victorieux : et pour marque de ce vœu, portoyent la teste et la barbe rase. Nous auons beau nous hazarder et obstiner. Il semble que les coups fuyent ceux, qui s’y presentent trop alaigrement : et n’arriuent volontiers à qui s’y presente trop volontiers, et corrompt leur fin. Tel ne pouuant obtenir de perdre sa vie, par les forces aduersaires, apres auoir tout essayé, a esté contraint, pour fournir à sa resolution, d’en r’apporter l’honneur, ou de n’en rapporter pas la vie : se donner soy mesme la mort, en la chaleur propre du combat. Il en est d’autres exemples. Mais en voicy vn. Philistus, chef de l’armée de mer du ieune Dionysius contre les Syracusains, leur presenta la battaille, qui fut asprement contestée, les forces estants pareilles. En icelle il eut du meilleur au commencement, par sa prouësse. Mais les Syracusains se rengeans autour de sa galere, pour l’inuestir, ayant faict grands faicts d’armes de sa personne, pour se desuelopper, n’y esperant plus de ressource, s’osta de sa main la vie, qu’il auoit si liberalement abandonnée, et frustratoirement, aux mains ennemies.Moley