Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/546

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commoditez desirables : mettons le cas, que touts ses membres fussent saisis pour tousiours, d’vn plaisir pareil à celuy de la generation en son poinct plus excessif : ie le sens fondre soubs la charge de son aise : et le voy du tout incapable de porter vne si pure, si constante volupté, et si vniuerselle. De vray il fuit, quand il y est, et se haste naturellement d’en eschapper, comme d’vn pas, où il ne se peut fermir, où il craind d’enfondrer.Quand ie me confesse à moy religieusement, ie trouue que la meilleure bonté que i’aye, a quelque teinture vicieuse. Et crains que Platon en sa plus nette vertu (moy qui en suis autant sincere et loyal estimateur, et des vertus de semblable marque, qu’autre puisse estre) s’il y eust escouté de pres (et il y escoutoit de pres) il y eust senty quelque ton gauche, de mixtion humaine mais ton obscur, et sensible seulement à soy. L’homme en tout et par tout, n’est que rappiessement et bigarrure. Les loix mesmes de la iustice, ne peuuent subsister sans quelque meslange d’iniustice. Et dit Platon, que ceux-là entreprennent de couper la teste de Hydra, qui pretendent oster des loix toutes incommoditez et inconueniens. Omne magnum exemplum habet aliquid ex iniquo, quod contra singulos vtilitate publica rependitur, dit Tacitus.Il est pareillement vray, que pour l’vsage de la vie, et seruice du commerce public, il y peut auoir de l’excez en la pureté et perspicacité de noz esprits. Cette clarté penetrante, a trop de subtilité et de curiosité. Il les faut appesantir et esmousser, pour les rendre plus obeissans à l’exemple et à la pratique ; et les espessir et obscurcir, pour les proportionner à cette vie tenebreuse et terrestre. Pourtant se trouuent les esprits communs et moins tendus, plus propres et plus heureux à conduire affaires. Et les opinions de la philosophie esleuées et exquises, se trouuent ineptes à l’exercice. Cette pointue viuacité d’ame, et cette volubilité soupple et inquiete, trouble nos negotiations. Il faut manier les entreprises humaines, plus grossierement et superficiellement ; et en laisser bonne et grande part, pour les droits de la Fortune. Il n’est pas besoin d’esclairer les affaires si profondement et si subtilement. On s’y perd à la consideration de tant de lustres contraires et formes diuerses, volutantibus res inter se pugnantes,