Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/540

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plus de hazards, ny qui ait plus souuent faict preuue de sa personne.Sa mort a quelque chose de pareil à celle d’Epaminondas : car il fut frappé d’vn traict, et essaya de l’arracher, et l’eust fait, sans ce que le traict estant tranchant, il se couppa et affoiblit la main. Il demandoit incessamment qu’on le repportast en ce mesme estat, en la meslée, pour y encourager ses soldats ; lesquels contesterent cette battaille sans luy, trescourageusement, iusques à ce que la nuict separa les armées. Il deuoit à la philosophie, vn singulier mespris, en quoy il auoit sa vie, et les choses humaines. Il auoit ferme creance de l’eternité des ames.En matiere de religion, il estoit vicieux par tout ; on l’a surnommé l’Apostat, pour auoir abandonné la nostre : toutesfois cette opinion me semble plus vray-semblable, qu’il ne l’auoit iamais eue à cœur, mais que pour l’obeïssance des loix il s’estoit feint iusques à ce qu’il tinst l’empire en sa main. Il fut si superstitieux en la sienne, que ceux mesmes qui en estoyent de son temps, s’en mocquoient : et disoit-on, s’il eust gaigné la victoire contre les Parthes, qu’il cust fait tarir la race des bœufs au monde, pour satisfaire à ses sacrifices. Il estoit aussi embabouyné de la science diuinatrice, et donnoit authorité à toute façon de prognostics. Il dit entre autres choses, en mourant, qu’il sçauoit bon gré aux Dieux et les remercioit, dequoy ils ne l’auoyent pas voulu luer par surprise, l’ayant de long temps aduerty du lieu et heure de sa fin, ny d’vne mort molle ou lasche, mieux conuenable aux personnes oysiues et delicates, ny languissante, longue et douloureuse : et qu’ils l’auoyent trouué digne de mourir de cette noble façon, sur le cours de ses victoires, et en la fleur de sa gloire. Il auoit eu vne pareille vision à celle de Marcus Brutus, qui premierement le menassa en Gaule, et depuis se representa à luy en Perse, sur le point de sa mort. Ce langage qu’on luy fait tenir, quand il se sentit frappé : Tu as veincu, Nazareen : ou, comme d’autres, Contente toy, Nazareen ; à peine eust il esté oublié, s’il eust esté creu par mes tesmoings : qui estants presens en l’armée ont remarqué iusques aux moindres mouuements et parolles de sa fin : non plus que certains autres miracles, qu’on y attache.Et pour venir au propos de mon theme : il couuoit, dit Marcellinus, de long temps en son cœur, le paganisme ; mais par