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former mes opinions : ouï, pour les assister, pieça formées, seconder et seruir.Mais à qui croirons nous parlant de soy, en vne saison si gastée ? veu qu’il en est peu, ou point, à qui nous puissions croire parlants d’autruy, où il y a moins d’interest à mentir. Le premier traict de la corruption des mœurs, c’est le bannissement de la verité ; car comme disoit Pindare, l’estre veritable, est le commencement d’vne grande vertu, et le premier article que Platon demande au gouuerneur de sa republique. Nostre verité de maintenant, ce n’est pas ce qui est, mais ce qui se persuade à autruy : comme nous appellons monnoye, non celle qui est loyalle seulement, mais la fauce aussi, qui a mise. Nostre nation est de long temps reprochée de ce vice. Car Saluianus Massiliensis, qui estoit du temps de l’Empereur Valentinian, dit qu’aux François le mentir et se pariurer n’est pas vice, mais vne façon de parler. Qui voudroit encherir sur ce tesmoignage, il pourroit dire que ce leur est à present vertu. On s’y forme, on s’y façonne, comme à vn exercice d’honneur : car la dissimulation est des plus notables qualitez de ce siecle.Ainsi i’ay souuent considéré d’où pouuoit naistre cette coustume, que nous obseruons si religieusement, de nous sentir plus aigrement offencez du reproche de ce vice, qui nous est si ordinaire, que de nul autre : et que ce soit l’extreme iniure qu’on nous puisse faire de parolle, que de nous reprocher la mensonge. Sur cela, ie treuue qu’il est naturel, de se deffendre le plus, des deffaux, dequoy nous sommes le plus entachez. Il semble qu’en nous ressentans de l’accusation, et nous en esmouuans, nous nous deschargeons aucunement de la coulpe si nous l’auons par effect, aumoins nous la condamnons par apparence. Seroit-ce pas aussi, que ce reproche semble enuelopper la couardise et lascheté de cœur ? En est-il de plus expresse, que se desdire de sa parolle ? quoy se desdire de sa propre science ? C’est vn vilain vice, que le mentir ; et qu’vn ancien peint bien honteusement, quand il dit, que c’est donner tesmoignage de mespriser Dieu, et quand et quand de craindre les hommes. Il n’est pas possible d’en representer plus richement l’horreur, la vilité, et le desreglement. Car que peut on imaginer plus vilain, que d’estre couart à l’endroit des hommes, et braue à l’endroit de Dieu ? Nostre intelligence se conduisant par la seule voye de la parolle, celuy qui la fauce, trahit la societé publique. C’est le seul vtil, par le moyen duquel se communiquent