Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/525

Cette page n’a pas encore été corrigée

vous ce que fit autrefois Polémon converti ? Quitterez-vous la livrée de la débauche, les bandelettes, les coussins, les vaines parures, comme on raconte de ce jeune débauché qui, assistant un jour, par hasard, à une leçon de l’austère Xénocrate, arracha de son front et jeta à la dérobée les fleurs dont, à la mode des buveurs, il était couronné (Horace) ? »

La condition la plus enviable pour l’homme me semble être celle qui, par sa simplicité, nous place au dernier rang et procure à notre existence le plus de régularité. Les mœurs, les aspirations des paysans me paraissent en général plus conformes aux principes de la vraie philosophie que ne sont celles de nos philosophes : « Le vulgaire est plus sage, parce qu’il n’est sage qu’autant qu’il le faut (Lactance). »

Hommes de guerre, politiques, poètes et autres qui seuls, parmi ceux de son siècle, semblent à Montaigne mériter une mention spéciale. — Les hommes que je mets en première ligne, à en juger par les apparences extérieures (car pour les apprécier à ma manière, il faudrait les examiner de plus près), sont le duc de Guise qui mourut à Orléans et feu le Maréchal Strozzi, sous le rapport de leur capacité militaire et en tant qu’hommes de guerre ; les chanceliers de France Olivier et l’Hospital, comme remarquables par leur haute intelligence et leur vertu supérieure à ce qui se rencontre communément. — La poésie latine semble avoir été fort cultivée en notre siècle, nous y avons abondance de bons auteurs : Daurat, de Bèze, Buchanan, l’Hospital, MontDoré, Turnebus. La poésie française a été, à mon avis, portée aussi haut qu’elle atteindra jamais ; dans les genres où excellent Ronsard et du Bellay, elle ne s’éloigne guère, j’estime, de la perfection à laquelle on est arrivé dans l’antiquité. Adrien Turnebus savait plus, et ce qu’il savait, il le savait mieux qu’aucun homme de ce siècle, encore pourrait-on remonter plus haut. — La vie du dernier duc d’Albe décédé et celle de notre connétable de Montmorency ont été de nobles existences qui, sur plusieurs points, ont des ressemblances comme il s’en rencontre rarement ; mais la belle et glorieuse mort de ce dernier, sous les yeux de Paris et de son roi, pour leur service, à la tête d’une armée victorieuse, dans un coup de main qu’il dirigeait lui-même malgré son extrême vieillesse, ayant comme adversaires ses plus proches parents, mérite de prendre place parmi les événements les plus remarquables de mon époque. De même aussi la bonté, la douceur de mœurs, la conscience éclairée de M. de la Noue, qui ne se démentirent jamais en ces temps d’abus si criants, commis par les factions en armes (véritable école de trahison, d’inhumanité et de brigandage), au milieu desquelles il n’a cessé de se montrer grand homme de guerre, des plus expérimentés.

Éloge de Marie de Gournay, sa fille d’alliance. — J’ai pris plaisir à publier, en plusieurs circonstances, les espérances que j’ai conçues de Marie de Gournay le Jars, ma fille d’alliance, que j’aime certes d’une affection beaucoup plus que paternelle et que, dans