Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/514

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ieu que vostre compagnon, pourueu que vous ne veniez à choquer les principes trop grossiers et apparens. Et pourtant, selon mon bumeur, és affaires publiques, il n’est aucun si mauuais train, pourueu qu’il aye de l’aage et de la constance, qui ne vaille mieux que le changement et le remuement. Nos mœurs sont extremement corrompuës, et panchent d’vne merueilleuse inclination vers l’empirement : de nos loix et vsances, il y en a plusieurs barbares et monstrueuses : toutesfois pour la difficulté de nous mettre en meilleur estat, et le danger de ce croullement, si ie pouuoy planter vne cheuille à nostre rouë, et l’arrester en ce poinct, ie le ferois de bon cœur.

Nunquam adeo foedis adeóque pudendis
Vtimur exemplis, vt non peiora supersint.

Le pis que ie trouue en nostre estat, c’est l’instabilité : et que nos loix, non plus que nos vestemens, ne peuuent prendre aucune forme arrestée. Il est bien aysé d’accuser d’imperfection vne police car toutes choses mortelles en sont pleines : il est bien aysé d’engendrer à vn peuple le mespris de ses anciennes obseruances : iamais homme n’entreprint cela, qui n’en vinst à bout : mais d’y restablir vn meilleur estat en la place de celuy qu’on a ruiné, à cecy plusieurs se sont morfondus, de ceux qui l’auoient entreprins. Ie fay peu de part à ma prudence, de ma conduite : ie me laisse volontiers mener à l’ordre public du monde. Heureux peuple, qui fait ce qu’on commande, mieux que ceux qui commandent, sans se tourmenter des causes qui se laisse mollement rouller apres le roullement celeste. L’obeyssance n’est iamais pure ny tranquille en celuy qui raisonne et qui plaide.Somme pour reuenir à moy, ce seul, par où ie m’estime quelque chose, c’est ce, en quoy iamais homme ne s’estima deffaillant : ma recommendation est vulgaire, commune, et populaire : car qui a iamais cuidé auoir faute de sens ? Ce seroit vne proposition qui impliqueroit en soy de la contradiction. C’est vne maladie, qui n’est iamais où elle se voit : elle est bien tenace et forte, mais laquelle pourtant, le premier rayon de la veuë du patient, perce et dissipe : comme le regard du soleil vn brouillas opaque. S’accuser, ce seroit s’excuser en ce subiect là : et se condamner, ce seroit s’absoudre. Il ne fut iamais crocheteur ny femmelette, qui ne pensast auoir assez de sens pour sa prouision. Nous recognoissons aysément és autres, l’aduantage du courage, de la force corporelle, de l’experience, de la disposition, de la beauté : mais l’aduantage du iugement, nous ne le cedons à personne. Et les raisons qui partent du simple discours naturel en autruy, il nous semble qu’il n’a tenu qu’à regarder de ce costé là, que nous ne les ayons trouuees.La