Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/484

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plement ma forme naturelle. D’où c’est à l’aduanture que ie puis plus, à parler qu’à escrire. Le mouuement et action animent les parolles, notamment à ceux qui se remuent brusquement, comme ie fay, et qui s’eschauffent. Le port, le visage, la voix, la robbe, l’assiette, peuuent donner quelque prix aux choses, qui d’elles mesmes n’en ont guère, comme le babil. Messala se pleint en Tacitus de quelques accoustremens estroits de son temps, et de la façon des bancs où les orateurs auoient à parler, qui affoiblissoient leur eloquence.Mon langage François est alteré, et en la prononciation et ailleurs, par la barbarie de mon creu. Ie ne vis iamais homme des contrées de deçà, qui ne sentist bien euidemment son ramage, et qui ne blessast les oreilles qui sont pures Françoises. Si n’est-ce pas pour estre fort entendu en mon Perigourdin : car ie n’en ay non plus d’vsage que de l’Allemand ; et ne m’en chault gueres. C’est vn langage, comme sont autour de moy d’vne bande et d’autre, le Poitteuin, Xaintongeois, Angoulemoisin, Lymosin, Auuergnat, brode, trainant, esfoiré. Il y a bien au dessus de nous, vers les montagnes, vn Gascon, que ie treuue singulierement beau, sec, bref, signifiant, et à la verité vn langage masle et militaire, plus qu’aucun autre, que i’entende : autant nerueux, et puissant, et pertinent, comme le François est gracieux, delicat, et abondant. Quant au Latin, qui m’a esté donné pour maternel, i’ay perdu par des-accoustumance, la promptitude de m’en pouuoir seruir à parler : oui, et à escrire, en quoy autrefois ie me faisoy, appeller maistre Iean. Voylla combien peu ie vaux de ce costé là.

La beauté est vne piece de grande recommendation au commerce des hommes. C’est le premier moyen de conciliation des vns aux autres ; et n’est homme si barbare et si rechigné, qui ne se sente aucunement frappé de sa douceur. Le corps a vne grand’part à nostre estre, il y tient vn grand rang : ainsi sa structure et composition sont de bien iuste consideration. Ceux qui veulent desprendre noz deux pieces principales, et les sequestrer l’vne de l’autre, ils ont tort. Au rebours, il les faut r’accoupler et reioindre. Il faut ordonner à l’ame, non de se tirer à quartier, de s’entretenir à part, de mespriser et abandonner le corps (aussi ne le sçauroit elle faire que par quelque singerie contrefaicte) mais de se r’allier à luy, de l’embrasser, le cherir, luy assister, le contreroller, le conseiller, le redresser, et ramener quand il fouruoye ; l’espouser en somme, et luy seruir de mary : à ce que leurs effects ne paroissent pas diuers et contraires, ains accordans et vniformes. Les