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fanius et de Rabirius. Ie ne sçay ny plaire, ny resiouyr, ny chatouiller. Le meilleur compte du monde se seche entre mes mains, et se ternit. Ie ne sçay parler qu’en bon escient. Et suis du tout desnué de cette facilité, que ie voy en plusieurs de mes compagnons, d’entretenir les premiers venus, et tenir en haleine toute vne trouppe, ou amuser sans se lasser, l’oreille d’vn Prince, de toute sorte de propos ; la matiere ne leur faillant iamais, pour cette grace qu’ils ont de sçauoir employer la premiere venue, et l’accommoder à l’humeur et portée de ceux à qui ils ont affaire. Les Princes n’ayinent guere les discours fermes, ny moy à faire des ! comptes. Les raisons premieres et plus aisées, qui sont communément les mieux prinses, ie ne sçay pas les employer. Mauuais prescheur de commune. De toute matiere ie dy volontiers les plus extremes choses, que i’en sçay. Cicero estime, qu’és traictez de la philosophie, le plus difficile membre soit l’exorde. S’il est ainsi, ie me prens à la conclusion sagement. Si faut-il sçauoir relascher la corde à toute sorte de tons et le plus aigu est celuy qui vient le moins souuent en ieu. Il y a pour le moins autant de perfection à releuer vne chose vuide, qu’à en sontenir vne poisante. Tantost il faut superficiellement manier les choses, tantost les profonder. le sçay bien que la plus part des hommes se tiennent en ce bas estage, pour ne conceuoir les choses que par cette premiere escorse. Mais ie sçay aussi que les plus grands maistres, et Xenophon et Platon, on les void souuent se relascher à cette basse façon, et populaire, de dire et traitter les choses, la soustenans des graces qui ne leur manquent iamais.Au demeurant mon langage n’a rien de facile et fluide : il est aspre, ayant ses dispositions libres et desreglées. Et me plaist ainsi ; sinon par mon iugement, par mon inclination. Mais ie sens bien que par fois ie m’y laisse trop aller, et qu’à force de vouloir euiter l’art et l’affection, . i’y retombe d’vne autre part ;

Breuis esse laboro,
Obscurus fio.

Platon dit, que le long ou le court, ne sont proprietez qui ostent ny qui donnent prix au langage. Quand i’entreprendrois de suiure cet autre stile æquable, vny et ordonné, ie n’y sçaurois aduenir. Et encore que les coupures et cadences de Saluste reuiennent plus à mon humeur, si est-ce que ie treuue Cæsar et plus grand, et moins aisé à representer. Et si mon inclination me porte plus à l’imitation du parler de Seneque, ie ne laisse pas d’estimer dauantage celuy de Plutarque. Comme à taire, à dire aussi, ie suy tout sim-