Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/471

Cette page n’a pas encore été corrigée

toute fausse qu’elle est ; chaque nation en a un certain nombre semblables ; mais ce sujet vaudrait d’être traité à part.

Quant aux femmes, elles ont tort d’appeler honneur ce qui est leur devoir ; celles qui ne sont retenues que par la crainte de perdre leur honneur, sont bien près de céder. — Un mot encore sur ce qui fait l’objet de cet entretien. Je ne conseille pas davantage aux dames d’appeler honneur ce qui est leur devoir, « tout comme dans le langage ordinaire on n’appelle honnêteté que ce qui est glorieux dans l’opinion du peuple (Cicéron) ». Leur devoir c’est le fruit, l’honneur n’est que l’enveloppe ; et elles se font tort à elles-mêmes en invoquant cette excuse pour justifier leur refus de se donner, parce que leur intention, leur désir, leur volonté, qui sont choses où l’honneur n’a rien à voir, d’autant que rien ne s’en manifeste au dehors, sont encore plus à considérer que l’acte lui-même : « Celle-là succombe, qui refuse parce qu’il ne lui est pas permis de succomber (Ovide). » L’offense envers Dieu et envers la conscience est aussi grande, qu’elle résulte du désir ou du fait accompli. De plus, ces actes ayant essentiellement lieu en les cachant au vu et au su de tous, il leur serait bien facile de les dérober à la connaissance d’autrui, d’où l’honneur dépend, si seul il les retenait dans le devoir, et si elles ne pratiquaient pas la chasteté pour elle-même. Toute personne d’honneur préfère perdre l’honneur, plutôt que d’agir contre sa conscience.

CHAPITRE XVII.

De la présomption.

La présomption nous fait concevoir une trop haute idée de notre mérite ; mais pour fuir ce défaut il ne faut pas tomber dans l’excès contraire et s’apprécier moins qu’on ne vaut. — Il y a une autre sorte de gloire qui consiste dans la trop bonne opinion que nous concevons de notre mérite. C’est une affection inconsidérée pour nous-mêmes, qui fait que nous nous chérissons et que nous nous représentons à nos propres yeux autres que nous sommes ; tel un amour passionné prête à qui nous aimons la beauté et la grâce et, troublant et altérant notre jugement, fait que ceux qui sont épris, aiment en l’objet de leur passion un être tout autre et beaucoup plus parfait qu’il n’est.

Je ne veux pourtant pas que, de peur de tomber dans cet excès, donnant dans un autre, un homme se méconnaisse et s’estime moins qu’il ne vaut ; notre jugement doit en tout conserver sa rectitude, et il est juste qu’en cela, comme en toute autre chose, il distingue ce qui est la vérité ; s’il est César, qu’il se reconnaisse hardiment