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par un faux testament, un étranger avait captée et sur lequel il les avait inscrits pour, par eux, être assuré d’en arriver à ses fins. Se contentant tous deux de n’avoir pas participé au faux qui avait été commis, ils n’avaient pas refusé les bénéfices qui en résultaient pour eux, s’estimant suffisamment couverts parce que, du fait des lois, ils étaient à l’abri des accusations et des témoignages qui pouvaient être portés contre eux : « Ils eussent dû se souvenir qu’ils avaient Dieu pour témoin, j’entends par là leur conscience (Cicéron). »

La vertu serait chose bien frivole si elle tirait sa recommandation de la gloire. — La vertu est chose bien vaine et bien frivole, si c’est à la gloire qu’elle demande sa récompense ; il ne vaudrait pas la peine, dans ce cas, de lui attribuer un rang à part et de faire une distinction entre elle et la fortune, car qu’y a-t-il de plus fortuit que la réputation ? « La fortune étend sa domination sur toutes choses ; elle élève les uns, abaisse les autres, moins selon leur mérite que selon son caprice (Salluste). » Faire que nos actions soient vues et connues, c’est uniquement le fait de la fortune ; c’est le sort qui nous départit la gloire, au gré de sa fantaisie. Je l’ai vue fort souvent devancer le mérite, et souvent aussi l’excéder, parfois de beaucoup. Celui qui le premier eut l’idée de trouver une ressemblance entre l’ombre et la gloire, réussit au delà de ce qu’il pensait : ce sont deux choses vaines au plus haut point ; comme l’ombre, la gloire nous précède parfois, et quelquefois dépasse considérablement notre taille en longueur. — Ceux qui enseignent à la noblesse à ne rechercher dans la vaillance que la gloire, « comme si une action n’était vertueuse que si elle devient célèbre (Cicéron) », à quoi arrivent-ils, sinon à lui inculquer de ne jamais s’exposer si on ne vous voit et d’avoir bien soin qu’il y ait des témoins à même de raconter vos prouesses, quand vous agissez là où il y a mille occasions de bien faire, mais où, faute de cette précaution, on n’aurait aucune chance d’être remarqué. — Combien de belles actions s’accomplissent dans le cours d’une bataille ! Quiconque s’amuse à observer les autres dans une pareille mêlée, ne fait guère de besogne et produit contre lui-même les témoignages qu’il rend sur la façon dont se comportent ses compagnons d’armes : « Une âme vraiment grande, place l’honneur, qui est le principal but de notre nature, dans les actions vertueuses et non dans la gloire (Cicéron). » — Toute celle à laquelle j’aspire, c’est d’avoir vécu tranquille, non comme le comprennent Métrodore, Arcésilas ou Aristippe, mais à ma manière. Puisque la philosophie a été impuissante à trouver une voie qui mène au repos de l’âme et qui convienne à tous, que chacun, de son côté, cherche à y atteindre.

C’est le hasard qui donne la gloire ; aussi, que de belles actions sont demeurées inconnues ! — À quoi César et Alexandre doivent-ils leur immense renommée, sinon à la fortune ? Sur combien d’hommes a-t-elle fait le silence, lorsqu’ils commençaient à prendre leur essor ; combien, dont nous ignorons qu’ils ont existé,