Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/454

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tament faux, à fin que par ce moyen il y establist sa part : se contenterent de n’estre participants de la fauceté, et ne refuserent d’en tirer du fruit assez couuerts, s’ils se tenoient à l’abry des accusations, et des tesmoins, et des loix. Meminerint Deum se habere testem, id est, et ego arbitror, mentem suam.La vertu est chose bien vaine et friuole, si elle tire sa recommendation de la gloire. Pour neant entreprendrions nous de luy faire tenir son rang à part, et la déioindrions de la Fortune : car qu’est-il plus fortuite que la reputation ? Profectò fortuna in omni re dominatur : ea res cunctas ex libidine magis quàm ex vero celebrat obscurátque. De faire que les actions soyent cognues et veues, c’est le pur ouurage de la Fortune. C’est le sort qui nous applique la gloire, selon sa temerité. Ie l’ay veuë fort souuent marcher auant le merite : et souuent outrepasser le merite d’vne longue mesure. Celuy qui premier s’aduisa de la ressemblance de l’ombre à la gloire, fit mieux qu’il ne vouloit. Ce sont choses excellemment vaines. Elle va aussi quelque fois deuant son corps : et quelque fois l’excede de beaucoup en longueur. Ceux qui apprennent à la noblesse de ne chercher en la vaillance que l’honneur : quasi non sit honestum quod nobilitatum non sit : que gaignent-ils par là, que de les instruire de ne se hazarder iamais, si on ne les voit, et de prendre bien garde, s’il y a des tesmoins, qui puissent rapporter nouuelles de leur valeur, là où il se presente mille occasions de bien faire, sans qu’on en puisse estre remerqué ? Combien de belles actions particulieres s’enseuelissent dans la foule d’vne bataille ? Quiconque s’amuse à contreroller autruy pendant vne telle meslée, il n’y est guere embesoigné et produit contre soy mesmes le tesmoignage qu’il rend des deportemens de ses compaignons. Vera et sapiens animi magnitudo, honestum illud quod maximè naturam sequitur, in factis positum, non in gloria, iudicat. Toute la gloire, que ie pretens de ma vie, c’est de l’auoir vescue tranquille. Tranquille non selon Metrodorus, ou Arcesilas, ou Aristippus, mais selon moy. Puisque la philosophie n’a sceu trouuer aucune voye pour la tranquillité, qui fust bonne en commun, que chacun la cherche en son particulier.À qui doiuent Cæsar et Alexandre cette grandeur infinie de leur renommée, qu’à la Fortune ? Combien d’hommes a elle esteint, sur le commencement de leur progrés, desquels nous n’auons aucune cognoissance, qui y apportoient mesme courage que le leur, si le