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de la substance : c’est vne piece estrangere ioincte à la chose, et hors d’elle.Dieu qui est en soy toute plenitude, et le comble de toute perfection, il ne peut s’augmenter et accroistre au dedans : mais son nom se peut augmenter et accroistre, par la benediction et louange, que nous donnons à ses ouurages exterieurs. Laquelle louange, puis que nous ne la pouuons incorporer en luy, d’autant qu’il n’y peut auoir accession de bien, nous l’attribuons à son nom, qui est la piece hors de luy, la plus voisine. Voylà comment c’est à Dieu seul, à qui gloire et honneur appartient. Et n’est rien si esloigné de raison, que de nous en mettre en queste pour nous : car estans indigens et necessiteux au dedans, nostre essence estant imparfaicte, et ayant continuellement besoing d’amelioration, c’est là, quoy nous nous deuons trauailler. Nous sommes tous creux et vuides : ce n’est pas de vent et de voix que nous auons à nous remplir : il nous faut de la substance plus solide à nous reparer. Vn homme affamé seroit bien simple de chercher à se pouruoir plustost d’vn beau vestement, que d’vn bon repas : il faut courir au plus pressé. Comme disent nos ordinaires prieres, Gloria in cxcelsis Deo, et in terra pax hominibus. Nous sommes en disette de beauté, santé, sagesse, vertu, et telles parties essentieles : les ornemens externes se chercheront apres que nous aurons proueu aux choses necessaires. La theologie traicte amplement et plus pertinemment ce subiect, mais ie n’y suis guere versé.Chrysippus et Diogenes ont esté les premiers autheurs et les plus fermes du mespris de la gloire. Et entre toutes les voluptez, ils disoient qu’il n’y en auoit point de plus dangereuse, ny plus à fuir, que celle qui nous vient de l’approbation d’autruy. De vray l’experience nous en fait sentir plusieurs trahisons bien dommageables. Il n’est chose qui empoisonne tant les Princes que la flatterie, ny rien par où les meschans gaignent plus aiséement credit autour d’eux : ny maquerelage si propre et si ordinaire à corrompre la chasteté des femmes, que de les paistre et entretenir de leurs louanges. Le premier enchantement que les Sirenes employent à piper Vlysses, est de cette nature :

Deça vers nous, deça, o treslouable Vlysse,
Et le plus grand honneur dont la Grece fleurisse.

Ces philosophes là disoient, que toute la gloire du monde ne meritoit pas qu’vn homme d’entendement estendist seulement le doigt pour l’acquerir :

Gloria quantalibet quid erit, si gloria tantum est ?

Ie dis pour elle seule : car elle tire souuent à sa suite plusieurs com-