Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/440

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Quod petiere, premunt arctè, faciuntque dolorem
Corporis, et dentes inlidunt sæpe labellis :
Et stimuli subsunt, qui instigant lædere id ipsum
Quodcunque est, rabies vnde illæ germina surgunt.

Il en va ainsi par tout : la difficulté donne prix aux choses. Ceux de la Marque d’Ancone font plus volontiers leurs vœuz à Sainct Iaques, et ceux de Galice à nostre Dame de Lorete : on fait au Liege grande feste des bains de Luques, et en la Toscane de ceux d’Aspa : il ne se voit guere de Romains en l’escole de l’escrime à Rome, qui est pleine de François. Ce grand Caton se trouua aussi bien que nous, desgousté de sa femme tant qu’elle fut sienne, et la desira quand elle fut à vn autre. I’ay chassé au haras vn vieil cheual, duquel à la senteur des iuments, on ne pouuoit venir à bout. La facilité l’a incontinent saoulé enuers les siennes : mais enuers les estrangeres et la premiere qui passe le long de son pastis, il reuient à ses importuns hannissements, et à ses chaleurs furieuses comme deuant. Nostre appetit mesprise et outrepasse ce qui luy est en main, pour courir apres ce qu’il n’a pas.

Transuolat in medio posita, et fugientia captat.

Nous defendre quelque chose, c’est nous en donner enuie.

Nisi tu seruare puellam
Incipis, incipiet desinere esse mea.

Nous l’abandonner tout à faict, c’est nous en engendrer mespris. La faute et l’abondance retombent en mesme inconuenient :

Tibi quod superest, mihi quod defit, dolet.

Le desir et la iouyssance nous mettent pareillement en peine. La rigueur des maistresses est ennuyeuse, mais l’aisance et la facilité l’est, à vray dire, encores plus, d’autant que le mescontentement et la cholere naissent de l’estimation, en quoy nous auons la chose desirée, aiguisent l’amour, et le reschauffent : mais la satieté engendre le dégoust : c’est vne passion mousse, hebetée, lasse, et endormie.

Si qua volet regnare diu, contemnat amantem,

Contemnite amantes,
Sic hodie veniet, si qua negauit heri.

Pourquoy inuenta Popæa de masquer les beautez de son visage, que pour les rencherir à ses amants ? Pourquoy a lon voilé iusques au dessoubs des talons ces beautez, que chacun desire montrer, que chacun desire voir ? Pourquoy couurent elles de tant d’empeschemens, les vns sur les autres, les parties, où loge principallement nostre desir et le leur ? Et à quoy seruent ces gros bastions, dequoy les nostres viennent d’armer leurs flancs, qu’à leurrer nostre appetit, et nous attirer à elles en nous esloignant ?

Et fugit ad salices, et se cupit antè videri.