Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/391

Cette page n’a pas encore été corrigée

sonne, & Cecilianus, qui ait voulu voir ta femme gratis, quand ses approches étaient libres ; mais maintenant que tu la fais garder, les adorateurs abondent. Tu es vraiment un habile homme (Martial). » — On demandait ce qu’il faisait à un philosophe surpris à même s’unissant à une femme : « Je plante un homme », répondit-il froidement, ne rougissant pas plus d’être rencontré se livrant à cet acte, que s’il avait été vu plantant de l’ail. Un de nos auteurs religieux, des plus grands, émet en des termes très dignes et mesurés, auxquels j’adhère, que l’accomplissement de cet acte nécessite tellement que l’on se cache et que l’on en ait honte, qu’il est convaincu que lorsqu’on se donne licence de s’abandonner à ces embrassements tels que l’école des Cyniques les admet, l’œuvre de chair, dans ces conditions, ne peut se mener à bonne fin ; on peut bien se livrer à des mouvements lascifs, mais c’est tout ; et, si cela suffit pour donner satisfaction à l’impudence dont cette école fait profession, pour déterminer l’afflux, qu’en pareil cas la honte contient et arrête, il leur faut encore rechercher n’être pas vus. — Cet auteur n’a pas été assez avant, dans ce qu’il a relevé de leurs excentricités : Diogène se masturbant en public, manifestait, en présence de la foule groupée autour de lui, « son contentement de pouvoir de la sorte procurer en le frottant des jouissances à son ventre ». À qui lui demandait pourquoi il mangeait en pleine rue et ne cherchait pas un endroit plus commode, il répondait : « C’est parce que j’ai faim en pleine rue. » Les femmes adonnées à la philosophie et qui étaient affiliées à cette secte, se livraient à ces philosophes en tous lieux et à discrétion ; Hipparchia ne fut admise dans la société de Cratès, qu’à condition de suivre en toutes choses les usages et les coutumes qui étaient de règle. Ils attachaient le plus haut prix à la vertu et n’acceptaient, pour se conduire, que la morale ; cependant, dans toutes leurs actions, ils s’en remettaient à l’autorité du sage qu’ils avaient choisi comme chef de leur école, dont la manière de voir était souveraine et qu’ils plaçaient au-dessus des lois ; et ils ne reconnaissaient d’autres bornes à leurs voluptés, que la modération à y apporter et le respect de la liberté d’autrui.

Des philosophes anciens ont soutenu que dans un même sujet subsistent les apparences les plus contraires. — De ce que le vin semble amer aux malades et est agréable aux gens bien portants, que l’aviron semble tors quand il plonge dans l’eau et paraît droit à ceux qui le voient complètement hors de ce milieu, que bien des choses se présentent ainsi sous des apparences contraires, Héraclite et Protagoras y voyaient une preuve que chacune porte en elle la cause de ces apparences : que le vin renferme un principe amer qui le fait paraitre tel au goût des malades, l’aviron un principe courbe en rapport avec la disposition en laquelle se trouve celui qui le voit dans l’eau, et de même de tout le reste ; ce qui revient à dire que tout est en toutes choses et par conséquent que rien n’est dans aucune, car il n’y a rien là où il y a tout.