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batue, qu’en pareille cause, il pourroit fauoriser celle des parties que bon luy sembleroit. Il ne tenoit qu’à faute d’esprit et de suffisance, qu’il ne peust mettre par tout, Question pour l’amy. Les aduocats et les iuges de nostre temps, trouuent à toutes causes, assez de biais pour les accommoder où bon leur semble. À vne science si infinie, dépendant de l’authorité de tant d’opinions, et d’vn subiect si arbitraire, il ne peut estre, qu’il n’en naisse vne confusion extreme de iugemens. Aussi n’est-il guere si clair procés, auquel les aduis ne se trouuent diuers : ce qu’vne compaignie a iugé, l’autre le iuge au contraire, et elle mesmes au contraire vne autre fois. Dequoy nous voyons des exemples ordinaires, par cette licence, qui tache merueilleusement la cerimonieuse authorité et lustre de nostre iustice, de ne s’arrester aux arrests, et courir des vns aux autres iuges, pour decider d’vne mesme cause.

Quant à la liberté des opinions philosophiques, touchant le vice et la vertu, c’est chose où il n’est besoing de s’estendre : et où il se trouue plusieurs aduis, qui valent mieux teus que publiez aux foibles esprits. Arcesilaus disoit n’estre considerable en la paillardise, de quel costé et par où on le fust. Et obscænas voluptates, si natura requirit non genere, aut loco, aut ordine, sed forma, ætate, figura metiendas Epicurus putat. Ne amores quidem sanclos à sapiente alienos esse arbitrantur. Quæramus ad quam vsque ætatem iuuenes amandi sint. Ces deux derniers lieux Stoïques, et sur ce propos, le reproche de Diogarchus à Platon mesme, montrent combien la plus saine philosophie souffre de licences esloignées de l’vsage commun, et excessiues.Les loix prennent leur authorité de la possession et de l’vsage : il est dangereux de les ramener à leur naissance : elles grossissent et s’annoblissent en roulant, comme nos riuieres : suyuez les contremont iusques à leur source, ce n’est qu’vn petit surjon d’eau à peine recognoissable, qui s’enorgueillit ainsin, et se fortifie, en vieillissant. Voyez les anciennes considerations, qui ont donné le premier branle à ce fameux torrent, plein de dignité, d’horreur et de reuerence : vous les trouuerez si legeres et si delicates, que ces gens icy qui poisent tout, et le ramenent à la