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que chacun apporte plus d’attention à veiller sur ce qui lui appartient. A développer ainsi cette double tendance à assaillir et à se défendre, il trouvait, au point de vue de la discipline militaire (principale science et vertu essentielle qu’il voulait inculquer à sa nation), un avantage qui lui parut, par son importance, l’emporter sur l’inconvénient résultant du désordre et de l’injustice qu’il y a à s’emparer du bien d’autrui.

Denys le tyran offrit à Platon une robe comme on les portait en Perse, longue, lamée d’or et d’argent, et parfumée ; Platon la refusa, disant que, né homme, il ne lui convenait pas de s’habiller en femme. Cette même robe, Aristippe l’accepta en disant que « nul accoutrement ne peut porter atteinte à qui est résolu à conserver sa chasteté ». — Les amis de ce dernier blâmaient la lâcheté qu’il avait mise à prendre si peu à cœur que Denys lui eût craché au visage : « Les pêcheurs, leur dit-il, se résignent bien, pour prendre un goujon, à être mouillés de la tête aux pieds par les eaux de la mer. » — Diogène était occupé à laver des choux, lorsque voyant passer ce même philosophe, il lui cria : « Si pour vivre tu te contentais de choux, tu ne ferais pas la cour à un tyran. » À quoi Aristippe répondit : « Si tu savais vivre avec les hommes, tu ne laverais pas des choux. » Voilà comment la raison donne aux choses les apparences les plus diverses ; c’est un pot à deux anses, que l’on peut prendre par l’anse droite ou par celle de gauche : « Ô terre hospitalière, tu portes la guerre ; tes coursiers sont armés pour le combat et c’est le combat qu’ils nous présagent ; cependant, ces fiers animaux étaient autrefois attelés à des charrues et avaient l’habitude de marcher fraternellement sous le joug, tout espoir de paix n’est donc pas perdu (Virgile) ! »

On reprochait à Solon de répandre, sur la mort de son fils, des larmes impuissantes et inutiles : « C’est bien pour cela, dit-il, que j’ai sujet d’en répandre, c’est qu’elles sont inutiles et impuissantes. » — La femme de Socrate disant : « Oh ! quelle injustice commettent ces méchants juges qui le font mourir, » voyait là un sujet d’aggravation pour sa douleur. « Préférerais-tu donc, lui répliqua Socrate, que j’aie mérité la mort ? » — Nous portons les oreilles percées, ce que les Grecs tenaient pour une marque de servitude. — Nous nous cachons pour jouir de nos femmes, les Indous le font en public. — Les Scythes immolaient les étrangers dans leurs temples ; ailleurs, les temples étaient des lieux d’asile. — « Chaque pays hait les divinités des pays voisins, parce que chacun tient ses dieux pour les seuls véritables ; d’où les fureurs aveugles des foules (Juvénal). »

Les plaidoyers des avocats et, en maintes occasions, l’embarras des juges démontrent l’ambiguïté des lois. — J’ai entendu raconter d’un juge que, lorsqu’il rencontrait entre Bartolus et Baldus un conflit difficile à trancher et quelque sujet présentant de sérieuses difficultés, il écrivait en marge de son livre « Question pour l’ami », voulant dire que la vérité y était