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homme particulier, ressentiroit la force et la violence, que luy feroit celuy, qui le voudroit pousser au contraire de cette loy. Qu’ils m’en montrent pour voir, vne de cette condition. Protagoras et Ariston ne donnoyent autre essence à la iustice des loix, que l’authorité et opinion du legislateur : et que cela mis à part, le bon et. l’honneste perdoyent leurs qualitez, et demeuroyent des noms vains, de choses indifferentes. Thrasymachus en Platon estime qu’il n’y a point d’autre droit que la commodité du supérieur. Il n’est chose, en quoy le monde soit si diuers qu’en coustumes et loix. Telle chose est icy abominable, qui apporte recommandation ailleurs : comme en Lacedemone la subtilité de desrober. Les mariages entre les proches sont capitalement defendus entre nous, ils sont ailleurs en honneur,

Gentes esse feruntur,
In quibus et nato genitrix, et nata parenti
lungitur, et pietas geminato crescit amore.

Le meurtre des enfans, meurtre des peres, communication de femmes, trafique de voleries, licence à toutes sortes de voluptez : il n’est rien en somme si extreme, qui ne se trouue receu par l’vsage de quelque nation.Il est croyable qu’il y a des loix naturelles : comme il se voit és autres creatures : mais en nous elles sont perduës, cette belle raison humaine s’ingerant par tout de maistriser et commander, brouillant et confondant le visage des choses, selon sa vanité et inconstance. Nihil itaque amplius nostrum est : quod nostrum dico, artis est. Les subiets ont diuers lustres et diuerses considerations : c’est de là que s’engendre principalement la diversité d’opinions. Vne nation regarde vn subiect par vn visage, et s’arreste à celuy là l’autre par vn autre.Il n’est rien si horrible à imaginer, que de manger son pere. Les peuples qui auoyent anciennement cette coustume, la prenoyent toutesfois pour tesmoignage de pieté et de bonne affection, cherchant par là à donner à leurs progeniteurs la plus digne et honorable sepulture : logeants en cux mesmes et comme en leurs moelles, les corps de leurs peres et leurs reliques : les viuifiants aucunement et regenerants par la transmutation en leur chair viue, au moyen de la digestion et du nourrissement. Il est aysé à considerer quelle cruauté et abomination c’eust esté à des hommes abreuuez et imbus de cette superstition, de ietter la despouille des parens à la corruption de la terre, et nourriture des bestes et des vers.Lycurgus considera au larrecin, la viuacité, diligence, hardiesse, et adresse, qu’il y a à surprendre quelque chose de son voisin, et l’vtilité qui reuient au public, que chacun en regarde plus curieusement à la conser-