Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/374

Cette page n’a pas encore été corrigée

lardise icy enclins à superstition, ailleurs à la mescreance : icy à la liberté, icy à la seruitude : capables d’vne science ou d’vn art : grossiers ou ingenieux : obeyssans ou rebelles : bons ou mauuais, selon que porte l’inclination du lieu où ils sont assis, et prennent nouuelle complexion, si on les change de place, comme les arbres qui fut la raison, pour laquelle Cyrus ne voulut accorder aux Perses d’abandonner leur pays aspre et bossu, pour se transporter en vn autre doux et plain : disant que les terres grasses et molles font les hommes mols, et les fertiles les esprits infertiles. Si nous voyons tantost fleurir vn art, vne creance, tantost vne autre, par quelque influance celeste : tel siecle produire telles natures, et incliner l’humain genre à tel ou tel ply : les esprits des hommes tantost gaillars, tantost maigres, comme nos champs : que deuiennent toutes ces belles prerogatiues dequoy nous allons flattants ? Puis qu’vn homme sage se peut mesconter, et cent hommes, et plusieurs nations : voire et l’humaine nature selon nous, se mesconte plusieurs siecles, en cecy ou en cela : quelle seureté auons nous que par fois elle cesse de se mesconter, et qu’en ce siecle elle ne soit en mescompte ? Il me semble entre autres tesmoignages de nostre imbecillité, que celuy-cy ne merite pas d’estre oublié, que par desir mesme, l’homme ne sçache trouuer ce qu’il luy faut que non par iouyssance, mais par imagination et par souhait, nous ne puissions estre d’accord de ce dequoy nous auons besoing pour nous contenter. Laissons à nostre pensée tailler et coudre à son plaisir : elle ne pourra pas seulement desirer ce qui luy est propre, et le satisfaire.

Quid enim ratione timemus
Aut cupimus ? quid tam dextro pede concipis, vt te
Conatus non poeniteat, votique peracti ?

C’est pourquoy Socrates ne requeroit les Dieux, sinon de luy don— ner ce qu’ils sçauoient luy estre salutaire. Et la priere des Lacedemoniens publique et priuéc portoit, simplement les choses bonnes et belles leur estre octroyées : remettant à la discretion de la puissance supreme le tirage et choix d’icelles.

Coniugium petimus, partúmque vxoris ; at illi
Notum qui pueri, qualisque futura sit vxor.

Et le Chrestien supplie Dieu que sa volonté soit faicte : pour ne tomber en l’inconuenient que les poëtes feignent du Roy Midas. Il requit les Dieux que tout ce qu’il toucheroit se conuertist en or sa priere fut exaucée, son vin fut or, son pain or, et la plume de sa couche, et d’or sa chemise et son vestement : de façon qu’il se