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dans certains de ces exemples, témoignent de sa dignité et de sa divinité. Non seulement elle a pénétré chez les nations infidèles de notre hémisphère qui l’ont plus ou moins imitée, mais encore chez ces barbares, comme par une inspiration surnaturelle qui la fait s’étendre sur le monde entier. On y trouve même la croyance au purgatoire, mais sous une forme nouvelle : ce que nous livrons au feu, est livré au froid, et ces peuples s’imaginent que les âmes sont punies et purifiées en ayant à subir les rigueurs d’un froid excessif. Ceci me remet en mémoire une autre divergence dans les idées, assez plaisante tandis que des peuplades aiment à avoir dégagée l’extrémité du gland du membre viril, et enlèvent à cet effet la peau qui l’entoure, comme font les Mahométans et les Juifs ; d’autres, au contraire, se font un si grand cas de conscience d’en agir autrement, qu’à l’aide de tout petits cordons fixés à cette peau, ils l’étirent avec grand soin, de manière à ce qu’elle recouvre cette extrémité de peur qu’elle ne voie l’air. — Une autre divergence existe dans la manière d’honorer les rois et de se montrer dans les fêtes. En pareille circonstance, nous nous parons de nos vêtements les plus convenables ; dans quelques pays, pour témoigner au roi de sa supériorité et de leur soumission, ses sujets se présentent à lui avec les effets les plus minables qu’ils possèdent, et, pour entrer au palais, ils mettent quelque vieille robe déchirée par-dessus la bonne dont ils sont revêtus de telle sorte que la personnalité du maître, brillant de tout son éclat, ressorte davantage et produise seule de l’effet. — Mais poursuivons.

Malgré ces ressemblances qu’on relève en des lieux si éloignés les uns des autres, il est certain que l’esprit des hommes varie suivant les climats et les siècles. — Si la nature enserre, comme elle le fait de toutes autres choses, dans les règles de sa marche ordinaire, les croyances, les jugements et les opinions des hommes ; si leurs évolutions sont déterminées, s’ils ont leur saison, s’ils naissent, s’ils meurent comme il en est des choux ; si le ciel les agite et les balaie à sa fantaisie, quelle autorité sérieuse et assurée leur attribuerons-nous ? Si l’expérience nous fait toucher du doigt que l’organisation de notre être relève de l’air, du climat, du terroir où nous naissons ; que non seulement notre teint, notre taille, notre complexion, nos moyens physiques en dépendent, mais encore les facultés de notre âme, « le climat ne contribue pas seulement à la vigueur du corps, mais aussi à celle de l’esprit », dit Végèce, au point que ce soit intentionnellement que la déesse qui a fondé Athènes ait fait choix, pour la bâtir, d’un climat tel que les hommes y deviennent plus particulièrement prudents, comme l’apprirent à Solon les prêtres d’Égypte : « L’air d’Athènes est léger, ce qui donne aux Athéniens plus de finesse ; celui de Thèbes est lourd, aussi les Thébains ont-ils plus de vigueur que d’esprit (Cicéron) », dès lors, de même que les fruits présentent en naissant des variétés, les animaux et les hommes naissent eux aussi plus ou moins belliqueux, justes, tempérants, dociles ; ici ils sont enclins au vin,