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de nous conseruer et gouuerner, est esueillée par nostre crainte : et combien de belles actions par l’ambition ? combien par la presomption ? Aucune eminente et gaillarde vertu en fin, n’est sans quelque agitation desreglée. Seroit-ce pas I’vne des raisons qui auroit meu les Epicuriens, à descharger Dieu de tout soin et sollicitude de nos affaires : d’autant que les effects mesmes de sa bonté ne se pouuoient exercer enuers nous, sans esbranler son repos, par le moyen des passions, qui sont comme des piqueures et sollicitations acheminans l’ame aux actions vertueuses ? ou bien ont ils creu autrement, et les ont prinses, comme tempestes, qui desbauchent honteusement l’ame de sa tranquillité ? Vt maris tranquillitas intelligitur, nulla, ne minima quidem, aura fluctus commouente : sic animi quietus et placatus status cernitur, quum perturbatio nulla est, qua moueri queat.Quelles differences de sens et de raison, quelle contrarieté d’imaginations nous presente la diuersité de nos passions ? Quelle asseurance pouuons nous doncq prendre de chose si instable et si mobile, subjecte par sa condition à la maistrise du trouble, n’allant iamais qu’vn pas forcé et emprunté ? Si nostre iugement est en main à la maladie mesmes, et à la perturbation, si c’est de la folie et de la temerité, qu’il est tenu de receuoir l’impression des choses, quelle seurté pouuons nous attendre de luy ? N’y a il point de hardiesse à la philosophie, d’estimer des hommes qu’ils produisent leurs plus grands effects, et plus approchans de la diuinité, quand ils sont hors d’eux, et furieux et insensez ? Nous nous amendons par la priuation de nostre raison, et son assoupissement. Les deux voies naturelles, pour entrer au cabinet des Dieux, et y preueoir le cours des destinées, sont la fureur et le sommeil. Cecy est plaisant à considerer. Par la dislocation, que les passions apportent à nostre raison, nous deuenons vertueux : par son extirpation, que la fureur ou l’image de la mort apporte, nous deuenons prophetes et deuins. Iamais plus volontiers ie ne l’en creu. C’est vn pur enthousiasme, que la saincte verité a inspiré en l’esprit philosophique, qui luy arrache contre sa proposition, que l’estat tranquille de nostre ame, l’estat rassis, l’estat plus sain, que la philosophie luy puisse acquerir, n’est pas son meilleur estat. Nostre veillée est plus endormie que le dormir : nostre sagesse moins sage que la folie : noz songes vallent mieux, que noz discours : la pire place, que nous puissions prendre, c’est en nous. Mais pense elle pas, que nous ayons l’aduisement de remarquer, que la voix,