Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/356

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fence de nostre proposition, l’imprimons en nous, et l’embrassons auec plus de vehemence et d’approbation, que nous ne faisons estans en nostre sens froid et reposé. Vous recitez simplement vne cause à l’aduocat, il vous y respond chancellant et doubteux : vous sentez qu’il luy est indifferent de prendre à soustenir l’vn ou l’autre party : l’auez vous bien payé pour y mordre, et pour s’en formaliser, commence-il d’en estre interessé, y a-il eschauffé sa volonté ? sa raison et sa science s’y eschauffent quant et quant : voylà vne apparente et indubitable verité, qui se presente à son entendement : il y descouure vne toute nouuelle lumiere, et le croit à bon escient, et se le persuade ainsi. Voire ie ne sçay si l’ardeur qui naist du despit, et de l’obstination, à l’encontre de l’impression et violence du magistrat, et du danger : ou l’interest de la reputation, n’ont enuoyé tel homme soustenir iusques au feu, l’opinion pour laquelle entre ses amys, et en liberté, il n’eust pas voulu s’eschauder le bout du doigt.Les secousses et esbranlemens que nostre ame reçoit par les passions corporelles, peuuent beaucoup en elle : mais encore plus les siennes propres : ausquelles elle est si fort prinse, qu’il est à l’aduanture soustenable, qu’elle n’a aucune autre alleure et mouuement, que du souffle de ses vents, et que sans leur agitation elle resteroit sans action, comme vn nauire en pleine mer, que les vents abandonnent de leur secours. Et qui inaintiendroit cela, suiuant le party des Peripateticiens, ne nous feroit pas beaucoup de tort, puis qu’il est cognu, que la pluspart des plus belles actions de l’ame, procedent et ont besoin de cette impulsion des passions. La vaillance, disent-ils, ne se peut parfaire sans l’assistance de la cholere.

Semper Aiax fortis, fortissimus tamen in furore.

Ny ne court on sus aux meschants, et aux ennemis, assez vigoureusement, si on n’est courroucé. Et veulent que l’aduocat inspire le courroux aux iuges, pour en tirer iustice.Les cupiditez emeurent Themistocles, emeurent Demosthenes : et ont poussé les philosophes aux trauaux, veillées, et peregrinations : nous meinent à l’honneur, à la doctrine, à la santé, fins vtiles. Et cette lascheté d’ame à souffrir l’ennuy et la fascherie, sert à nourrir en la conscience, la penitence et la repentance et à sentir les fleaux de Dieu, pour nostre chastiment, et les fleaux de la correction politique. La compassion sert d’aiguillon à la clemence ; et la prudence