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vmbrage de pareille vanité, peuuent insinuer insensiblement en son iugement, la recommendation ou deffaueur d’vne cause, et donner pente à la balance.Moy qui m’espie de plus prez, qui ay les yeux incessamment tendus sur moy, comme celuy qui n’a pas fort affaire ailleurs,

Quis sub Arcto
Rex gelidæ metuatur oræ,
Quid Tyridatem terreat, vnicè
Securus,

à peine oseroy-ie dire la vanité et la foiblesse que ie trouue chez moy. I’ay le pied si instable et si mal assis, ie le trouue si aysé à crouler, et si prest au branle, et ma veue si desreglée, qu’à iun ie me sens autre, qu’apres le repas : si ma santé me rid, et la clarté d’vn beau iour, me voyla honneste homme : si i’ay vn cor qui me presse l’orteil, me voylà ren froigné, mal plaisant et inaccessible. Vn mesme pas de cheual me semble tantost rude, tantost aysé ; et mesme chemin à cette heure plus court, vne autre fois plus long et vne mesme forme ores plus ores moins aggreable. Maintenant ie suis à tout faire, maintenant à rien faire : ce qui m’est plaisir à cette heure, ne sera quelquefois peine. Il se fait mille agitations indiscrettes et casueles chez moy. Ou l’humeur melancholique me tient, ou la cholerique ; et de son authorité priuée, à cett’heure le chagrin predomine en moy, à cette heure l’allegresse. Quand ie prens des liures, i’auray apperceu en tel passage des graces excellentes, et qui auront feru mon ame ; qu’vn’autre fois i’y retombe, i’ay beau le tourner et virer, i’ay beau le plier et le manier, c’est vne masse incognue et informe pour moy. En mes escris mesmes, ie ne retrouue pas tousiours l’air de ma premiere imagination : ie ne sçay ce que i’ay voulu dire : et m’eschaude souuent à corriger, et y mettre vn nouueau sens, pour auoir perdu le premier qui valloit mieux. Ie ne fay qu’aller et venir mon iugement ne tire pas tousiours auant, il flotte, il vague,

Velut minuta magno
Deprensa nauis in mari, vesaniente vento.

Maintes-fois, comme il m’aduient de faire volontiers, ayant pris pour exercice et pour esbat, à maintenir vne contraire opinion à la mienne, mon esprit s’appliquant et tournant de ce costé-là, m’y attache si bien, que ie ne trouue plus la raison de mon premier aduis, et m’en despars. Ie m’entraine quasi où ie panche, comment que ce soit, et m’emporte de mon poix.Chacun à peu pres en diroit autant de soy, s’il se regardoit comme moy. Les prescheurs scauent, que l’emotion qui leur vient en parlant, les anime vers la creance et qu’en cholere nous nous addonnons plus à la def-