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leur premiere production, ce n’est pas merueille, si en chose si haute et ancienne, l’entendement humain se trouble et dissipe. Archelaus le physicien, duquel Socrates fut le disciple et le mignon, selon Aristoxenus, disoit, et les hommes et les animaux auoir esté faicts d’vn limon laicteux, exprimé par la chaleur de la terre. Pythagoras dit nostre semence estre l’escume de nostre meilleur sang : Platon, l’escoulement de la moelle de l’espine du dos : ce qu’il argumente de ce, que cet endroit se sent le premier, de la lasseté de la besongne Alcmeon, partie de la substance du cerueau : et qu’il soit ainsi, dit-il, les yeux troublent à ceux qui se trauaillent outre mesure à cet exercice : Democritus, vne substance extraite de toute la masse corporelle : Epicurus, extraicte de l’ame et du corps Aristote, vn excrement tiré de l’aliment du sang le dernier qui s’espand en nos membres : autres, du sang, cuit et digeré par la chaleur des genitoires : ce qu’ils iugent de ce qu’aux extremes efforts, on rend des gouttes de pur sang : enquoy il semble qu’il y ayt plus d’apparence, si on peut tirer quelque apparence d’vne confusion si infinie. Or pour mener à effect cette semence, combien en font-ils d’opinions contraires ? Aristote et Democritus tiennent que les femmes n’ont point de sperme : et que ce n’est qu’vne sueur qu’elles eslancent par la chaleur du plaisir et du mouuement, qui ne sert de rien à la generation. Galen au contraire, et ses suyuans, que sans la rencontre des semences, la generation ne se peut faire. Voyla les medecins, les philosophes, les iurisconsultes, et les theologiens, aux prises pesle mesle auec nos femmes, sur la dispute, à quels termes les femmes portent leur fruict. Et moy ie secours par l’exemple de moy-mesme, ceux d’entre eux, qui maintiennent la grossesse d’onze moys. Le monde est basty de cette experience, il n’est si simple femmelette qui ne puisse dire son aduis sur toutes ces contestations, et si nous n’en sçaurions estre d’accord. En voyla assez pour verifier que l’homme n’est non plus instruit de la cognoissance de soy, en la partie corporelle, qu’en la spirituelle. Nous l’auons proposé luy mesmes à soy, et sa raison, à sa raison, pour voir ce qu’elle nous en diroit. Il me semble assez auoir montré combien peu elle s’entend en elle mesme. Et, qui ne s’entend en soy, en quoy se peut il entendre ? Quasi verò mensuram vllius rei possit agere, qui sui nesciat. Vrayement Protagoras nous en comtoit de belles, faisant l’homme la mesure de toutes choses,