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cule de supposer que les âmes se trouvent là toutes prêtes au moment précis de l’accouplement des animaux ou de leur naissance et que, substances immortelles, elles s’empressent en foule autour d’un corps mortel, se disputant entre elles à qui y sera introduite la première (Lucrèce). » — D’autres s’emparent de l’âme au moment du trépas, pour en animer les serpents, les vers et autres animalcules qui se produisent, dit-on, lorsque le corps entre en décomposition et même lorsqu’il est réduit en cendres ; d’autres la composent de deux parties, l’une mortelle, l’autre immortelle ; d’autres la supposent matérielle et quand même immortelle ; quelques-uns admettent son immortalité, tout en la tenant comme incapable de science et de connaissance — Il y en a encore qui sont d’avis que les âmes des condamnés s’incarnent dans les démons ; et parmi les chrétiens, certains en jugent ainsi. Par analogie, Plutarque pense que les âmes qui ont obtenu leur salut deviennent dieux ; il est peu de sujets sur lesquels cet auteur se prononce avec autant de netteté que sur celui-ci, alors que sur tous autres il s’exprime d’une manière dubitative et ambiguë : « Il faut estimer, dit-il, et croire fermement, en ce qui concerne les âmes des gens vertueux, qu’ainsi que cela est naturel et conforme à la justice divine, ces âmes, au sortir de cet état, transmigrent chez des saints ; celles des saints, chez des demi-dieux ; et celles des demi-dieux, après qu’elles se sont complètement dégagées de toute souillure et purifiées par des sacrifices expiatoires par exemple, n’ayant plus à payer tribut ni à la souffrance ni à la mort, et sans qu’à cet effet il soit besoin d’ordonnance civile et cependant bien réellement ainsi que le raisonnement le rend vraisemblable, deviennent des dieux entiers et parfaits, ce qui leur constitue une fin très heureuse et très glorieuse. » Celui qui serait désireux de voir Plutarque, pourtant l’un des auteurs anciens des plus retenus et des plus modérés, se faire l’un des plus hardis champions de cette thèse et conter des miracles à ce propos, peut se reporter à ses écrits sur la lune et sur le démon de Socrate ; il y verra d’une manière aussi évidente que n’importe où, combien les mystères de la philosophie offrent de bizarreries qu lui sont communes avec la’poésie. L’entendement humain se perd à vouloir sonder et contrôler tout à fond ; c’est absolument ce qui nous arrive : harassés par le travail accompli dans le cours d’une longue vie, nous retombons en enfance. — Tels sont les beaux enseignements si empreints de certitude que la science humaine nous fournit touchant notre âme !

La manière dont se forme le corps humain est aussi inconnue que la nature de l’âme ; tout est mystère dans la génération. — En ce qui se rapporte à la partie matérielle de notre être, la science est tout aussi téméraire dans ses conjectures. Choisissons-en un ou deux exemples seulement, parce qu’à tout relever, nous nous perdrions dans cet océan si vaste et si trouble des erreurs commises par les médecins. Voyons si, au moins, l’accord règne sur la manière dont les hommes se reproduisent les uns par