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vie au delà de celle-ci, mais néanmoins limitée. L’idée la plus généralement reçue et qui* en divers lieux s’est continuée jusqu’à nous, a été celle dont Pythagore serait l’auteur ; non que l’invention soit de lui, mais parce que l’autorité de son approbation lui a donné un grand poids et l’a mise en crédit ; cette idée est la suivante : « Les âmes, quand elles nous quittent, ne font que passer d’un corps dans un autre ; de celui d’un lion, dans celui d’un cheval ; d’un cheval, chez un roi ; promenées sans cesse d’une demeure dans une autre. » Pythagore disait même, à son propos, se souvenir avoir été Ethalide ; postérieurement, Euphorbe ; puis, Hermotinus ; enfin, de Pyrrhus ètre passé en Pythagore, conservant la mémoire de ce que, durant deux cent six ans, il était devenu. — Il y en avait qui ajoutaient que parfois ces mêmes âmes remontaient au ciel pour, après, en redescendre encore : « Ô mon père, est-il vrai que des âmes retournent d’ici sur terre et revětent de nouveau une enveloppe corporelle ? Qui peut inspirer à ces malheureuses un aussi cruel désir de la vie (Virgile) ? »

Origène les fait aller et venir éternellement d’un état heureux à un mauvais. Varron expose qu’après une évolution d’une durée de quatre cent quarante ans, elles s’unissent à nouveau à leur premier corps. Chrysippe, qu’il doit en arriver ainsi après une époque déterminée dont la durée est inconnue et qu’il n’indique pas. Platon (qui dit tenir de Pindare et des poètes anciens cette croyance), de ce que l’âme est soumise à une infinie multitude des migrations, et de ce qu’elle n’a à attendre en l’autre monde que des peines et des récompenses temporelles, ainsi que l’est déjà sa vie en celui-ci, conclut qu’elle acquiert une connaissance particulière des choses du ciel, des enfers comme de celles de la terre, et aussi des endroits où elle a passé, repassé et séjourné durant ses nombreuses pérégrinations dont elle a possibilité de conserver quelque vague souvenir et dont voici la progression : « Si l’âme a vécu dans le bien, elle rejoint l’astre qui lui est assigné ; celle qui a mal vécu, passe dans un corps de femme ; si, en cet état, elle ne s’amende pas, elle passe dans celui d’un animal de mœurs en rapport avec les vices dont elle est entachée ; et elle ne voit la fin de ses peines qu’alors qu’elle est revenue à son état de pureté primitif après s’être, à force de raisonnement, défaite des qualités grossières, stupides qui chez elle étaient en germe. » — Je n’aurai garde d’omettre cette plaisante objection faite par les Épicuriens à cette transmigration d’un corps à un autre : « Qu’adviendrait-il, demandent-ils, si le nombre des mourants excédait le nombre de ceux qui naissent ? les âmes délogées de leur gite, en arriveraient à se fouler les unes les autres, pour se trouver des premières à prendre place dans ces nouvelles enveloppes » ; et aussi : « À quoi passeraient leur temps, celles obligées d’attendre que leurs nouveaux logis soient prêts ? Et inversement, s’il naissait plus d’animaux qu’il n’en meurt, en quelle fâcheuse situation, ajoutent-ils, seraient ceux auxquels il n’aurait pas été infusé d’âme ? il s’en trouverait parmi eux qui mourraient avant d’avoir vécu. » « Il est ridi-