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ce n’est que vanité et folie. L’essence mesme de la verité, qui est vniforme et constante, quand la fortune nous en donne la possession, nous la corrompons et abastardissons par nostre foiblesse. Quelque train que l’homme prenne de soy, Dieu permet qu’il arriue tousiours à cette mesme confusion, de laquelle il nous represente si viuement l’image par le iuste chastiement, dequoy il batit l’outrecuidance de Nemroth, et aneantit les vaines entreprinses du bastiment de sa pyramide. Perdam sapientiam sapientium, et prudentiam prudentium reprobabo. La diuersité d’idiomes et de langues, dequoy il troubla cet ouurage, qu’est-ce autre chose, que cette infinie et perpetuelle altercation et discordance d’opinions et de raisons, qui accompaigne et embrouille le vain bastiment de l’humaine science ? Et l’embrouille vtilement. Qui nous tiendroit, si nous auions un grain de connoissance ? Ce sainct m’a faict grand plaisir Ipsa vtilitatis occullatio, aut humilitatis exercitatio est, aut elationis attritio. Iusques à quel poinct de presomption et d’insolence, ne portons nous nostre aueuglement et nostre bestise ?Mais pour reprendre mon propos : c’estoit vrayement bien raison, que nous fussions tenus à Dieu seul, et au benefice de sa grace, de la verité d’vne si noble crcance, puis que de sa seule liberalité, nous receuons le fruict de l’immortalité, lequel consiste en la iouyssance de la beatitude eternelle. Confessons ingenuement, que Dieu seul nous l’a dict, et la foy : car leçon n’est-ce pas de Nature et de nostre raison. Et qui retentera son estre et ses forces, et dedans et dehors, sans ce priuilege diuin : qui verra l’homme, sans le flatter, il n’y verra ny efficace, ny faculté, qui sente autre chose que la mort et la terre. Plus nous donnons, et deuons, et rendons à Dieu, nous en faisons d’autant plus chrestiennement. Ce que ce philosophe Stoïcien dit tenir du fortuit consentement de la voix populaire, valoit-il pas mieux qu’il le tinst de Dieu ? Cum de animorum æternitate disserimus, non leue momentum apud nos habet consensus hominum, aut timentium inferos, aut colentium. Vtor hac publica persuasione.Or la foiblesse des argumens humains sur ce subiect, se connoist singulierement par les fabulueuses circonstances, qu’ils ont adioustees à la suite de cette opinion, pour trouuer de quelle condition estoit cette nostre immortalité. Laissons les Stoïciens, Vsuram nobis largiuntur tanquam cornicibus ; diu mansuros aiunt animos, semper negant : qui donnent aux ames vne vie au delà de ceste cy, mais finie. La plus %