Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/328

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science traictée auec plus de reseruation et de doute. Les dogmatistes les plus fermes, sont contraints en cet endroit principalement, de se reietter à l’abry des ombrages de l’Academie. Nul ne sçait ce qu’Aristote a estably de ce subiect, non plus que touts les anciens en general, qui le manient d’vne vacillante creance : rem gratissimam promittentium magis quàm probantium. Il s’est caché soubs le nuage des paroles et sens difficiles, et non intelligibles, et a laissé à ses sectateurs, autant à debattre sur son iugement que sur la matiere.Deux choses leur rendoient cette opinion plausible : l’vne, que sans l’immortalité des ames, il n’y auroit plus dequoy asseoir les vaines esperances de la gloire, qui est vne consideration de merueilleux credit au monde : l’autre, que c’est vne tres-vtile impression, comme dit Platon, que les vices, quand ils se desroberont de la veue et cognoissance de l’humaine iustice, demeurent tousiours en butte à la diuine, qui les poursuyura, voire apres la mort des coulpables. Vn soing extreme tient l’homme d’alonger son estre ; il y a pourueu par toutes ses pieces. Et pour la conseruation du corps, sont les sepultures pour la conseruation du nom, la gloire. Il a employé toute son opinion à se rebastir, impatient de sa fortune, et à s’estançonner par ses inuentions. L’ame par son trouble et sa foiblesse, ne pouuant tenir sur son pied, va questant de toutes parts des consolations, esperances et fondements, et des circonstances estrangeres, où elle s’attache et se plante. Et pour legers et fantastiques que son inuention les luy forge, s’y repose plus seurement qu’en soy, et plus volontiers. Mais les plus aheurtez à cette si iuste et claire persuasion de l’immortalité de nos esprits ; c’est merueille comme ils se sont trouuez courts et impuissans à l’establir par leurs humaines forces. Somnia sunt non docentis, sed optantis : disoit vn ancien. L’homme peut recognoistre par ce tesmoignage, qu’il doit à la fortune et au rencontre, la verité qu’il descouure luy seul ; puis que lors mesme, qu’elle luy est tombée en main, il n’a pas dequoy la saisir et la maintenir, et que sa raison n’a pas la force de s’en preualoir. Toutes choses produites par nostre propre discours et suffisance, autant vrayes que fauces, sont subiectes à incertitude et debat. C’est pour le chastiment de nostre fierté, et instruction de nostre misere et incapacité, que Dieu produisit le trouble, et la confusion de l’ancienne tour de Babel. Tout ce que nous entreprenons sans son assistance, tout ce que nous voyons sans la lampe de sa grace,