Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/326

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Interdumque graui lethargo fertur in altum
Æternumque soporem, oculis nutúque cadenti.

Les philosophes n’ont, ce me semble, guere touché cette corde, non plus qu’vne autre de pareille importance. Ils ont ce dilemme tousiours en la bouche, pour consoler nostre mortelle condition : Ou l’ame est mortelle, ou immortelle : Si mortelle, elle sera sans peine : Si immortelle, elle ira en amendant. Ils ne touchent iamais l’autre branche : Quoy, si elle va en empirant ? Et laissent aux poëtes les menaces des peines futures. Mais par là ils se donnent vn beau ieu. Ce sont deux omissions qui s’offrent à moy souuent en leurs discours. Ie reuiens à la premiere.Cette ame pert I’vsage du souuerain bien Stoïque, si constant et si ferme. Il faut que nostre belle sagesse se rende en cet endroit, et quitte les armes. Au demeurant, ils consideroient aussi par la vanité de l’humaine raison, que le meslange et société de deux pieces si diuerses, comme est le mortel et l’immortel, est inimaginable :

Quippe etenim mortale æterno iungere, et vnà
Consentire putare, et fungi mutua posse,
Desipere est. Quid enim diuersius esse putandum est,
Aut mugis inter se disiunctum discrepitánsque,
Quam, mortale quod est, immortali átyue perenni
Iunctum in concilio sæuas tolerare procellas ?

Dauantage ils sentoyent l’ame s’engager en la mort, comme le corps.

Simul æuo fessa faliscit.

Ce que, selon Zeno, l’image du sommeil nous montre assez. Car il estime que c’est vne defaillance et cheute de l’ame aussi bien que du corps. Contrahi animum, et quasi labi putat atque decidere. Et ce qu’on aperceuoit en aucuns, sa force, et sa vigueur se maintenir en la fin de la vie, ils le rapportoyent à la diuersité des maladies, comme on void les hommes en cette extremité, maintenir, qui vn sens, qui vn autre, qui l’ouïr, qui le fleurer, sans alteration : et ne se voit point d’affoiblissement si vniuersel, qu’il n’y reste quelques parties entieres et vigoureuses :

Non alio pacto, quàm si pes cùm dolet ægri,
In nullo caput interea sit fortè dolore.

La veuë de nostre iugement se rapporte à la verité, comine fait l’œil du chat-huant, à la splendeur du soleil, ainsi que dit Aristote. Par où le sçaurions nous mieux conuaincre que par si grossiers aueuglemens en vne si apparente lumiere ? Car l’opinion contraire, de l’immortalité de l’ame, laquelle Cicero dit auoir esté premierement introduitte, au moins du tesmoignage des liures, par Pherecydes Syrius du temps du Roy Tullus (d’autres en attribuent l’inuention à Thales et autres à d’autres) c’est la partie de l’humaine