Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/312

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autre car il ne parle ny de l’essence, ny de l’origine, ny de la nature de l’ame, mais en remerque seulement l’effect. Lactance, , Seneque, et la meilleure part entre les dogmatistes, ont confessé que c’estoit chose qu’ils n’entendoient pas. Et apres tout ce denombrement d’opinions : Harum sententiarum quæ vera sit, Deus aliquis viderit, dit Cicero. Ie connoy par moy, dit S. Bernard, combien Dieu est incomprehensible, puis que les pieces de mon estre propre, ie ne les puis comprendre. Heraclitus, qui tenoit, tout estre plein d’ames et de daimons, maintenoit pourtant, qu’on ne pouuoit aller tant auant vers la cognoissance de l’ame, qu’on y peust arriuer, si profonde estre son essence.Il n’y a pas moins de dissension, ny de debat à la loger. Hippocrates et Hierophilus la mettent au ventricule du cerueau : Democritus et Aristote, par tout le corps :

Vt bona sæpe valet udo cùm dicitur esse
Corporis, et non est tamen hæc pars vlla valentis.

Epicurus, en l’estomach :

Hic exultat enim pauor ac metus, hæc loca circúm
Lætitiæ mulcent.

Les Stoïciens, autour et dedans le cœur : Erasistratus, ioignant la membrane de l’epicrane : Empedocles, au sang : comme aussi Moyse, qui fut la cause pourquoy il defendit de manger le sang des bestes, auquel leur ame est iointe : Galen a pensé que chaque partie du corps ait son ame : Strato l’a logée entre les deux sourcils : Qua facie quidem sit animus, aut vbi habitet, ne quærendum quidem est : dit Cicero. Ie laisse volontiers à cet homme ses mots propres. Iroy-ie à l’éloquence alterer son parler ? Ioint qu’il y a peu d’acquest à desrober la matiere de ses inuentions. Elles sont et peu frequentes, et peu roides, et peu ignorées. Mais la raison pourquoy Chrysippus l’argumente autour du cœur, comme les autres de sa secte, n’est pas pour estre oubliée : C’est par ce, dit-il, que quand nous voulons asseurer quelque chose, nous mettons la main sur l’estomach : et quand nous voulons prononcer, èyè, qui signifie moy, nous baissons vers l’estomach la machouëre d’embas. Ce lieu ne se doit passer, sans remerquer la vanité d’vn si grand personnage : car outre ce que ces considerations sont d’elles mesmes infiniment legeres, la derniere ne preuue qu’aux Grecs, qu’ils ayent l’ame en cet endroit là. Il n’est iugement humain, si tendu, qui ne sommeille par fois. Que craignons nous à dire ? Voyla les Stoiciens peres de l’humaine prudence, qui trouuent, que l’ame d’vn homme accablé sous vne ruine, traine et ahanne long temps à sortir, ne se pouuant desmesler de la charge, comme vne sourix prinse à la trapelle. Aucuns tiennent, que le monde fut faict pour donner corps par punition, aux esprits decheus par leur faute, de la pureté en quoy ils