Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/304

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engendre la rougeur, certaine autre la palleur, telle imagination agit en la rate seulement, telle autre au cerueau, I’vne nous cause le rire, l’autre le pleurer, telle autre transit et estonne tous noz sens, et arreste le mouuement de noz membres, à tel object l’estomach se sousleue, à tel autre quelque partie plus basse. Mais comme vne impression spirituelle, face vne telle faucée dans vn subject massif, et solide, et la nature de la liaison et cousture de ces admirables ressorts, iamais homme ne l’a sceu : Omnia incerta ratione, et in naturæ maiestate abdita, dit Pline ; et S. Augustin, Modus, quo corporibus adhærent spiritus, omnino mirus est, nec comprehendi ab homine potest : et hoc ipse homo est. Et si ne le met on pas pourtant en doubte : car les opinions des hommes, sont receuës à la suitte des creances anciennes, par authorité et à credit, comme si c’estoit religion et loy. On reçoit comme vn iargon ce qui en est communement tenu : on reçoit cette verité, aucc tout son bastiment et attelage d’argumens et de preuues, comme vn corps ferme et solide, qu’on n’esbranle plus, qu’on ne iuge plus. Au contraire, chacun à qui micux mieux, va plastrant et confortant cette creance receue, de tout ce que peut sa raison, qui est vn vtil soupple contournable, et accommodable à toute figure. Ainsi se remplit le monde et se confit en fadeze et en mensonge.Ce qui fait qu’on ne doubte de guere de choses, c’est que les communes impressions on ne les essaye iamais ; on n’en sonde point le pied, où git la faute et la foiblesse : on ne debat que sur les branches : on ne demande pas si cela est vray, mais s’il a esté ainsin ou ainsin entendu. On ne demande pas si Galen a rien dict qui vaille : mais s’il a dict ainsin, ou autrement. Vrayement c’estoit bien raison que cette bride et contrainte de la liberté de noz iugements, et cette tyrannie de noz creances, s’estendist iusques aux escholes et aux arts. Le Dieu de la science scholastique, c’est Aristote : c’est reli— gion de debattre de ses ordonnances, comme de celles de Lycurgus à Sparte. Sa doctrine nous sert de loy magistrale : qui est à l’aduanture autant faulce que vne autre. Ie ne sçay pas pourquoy ie n’acceptasse autant volontiers ou les idées de Platon, ou les atomes d’Epicurus, ou le plein et le vuide de Leucippus et Democritus, on l’eau de Thales, ou l’infinité de Nature d’Anaximander, ou l’air de