Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/299

Cette page n’a pas encore été corrigée

et divines, dit que son cerveau s’altéra, ainsi que cela arrive chez tous ceux qui scrutent avec excès les questions qui excèdent leur compétence. Faisant du soleil une pierre ardente, il ne réfléchissait pas qu’une pierre ne devient pas lumineuse sous l’action du feu, et, qui plus est, qu’elle se consume. Considérant le soleil et le feu comme ne faisant qu’un, il oubliait que le feu ne noircit pas les êtres qui s’y trouvent exposés, qu’il nous est possible de le regarder fixément et qu’il tue les plantes et les herbes. De l’avis de Socrate et aussi du mien, le jugement le plus sage qu’on puisse porter sur le ciel, c’est de n’en point juger. Platon, parlant des démons dans Timée, dit : « C’est une entreprise qui surpasse ce dont nous sommes capables, que de traiter ce sujet ; il faut à cet égard nous en rapporter aux anciens qui se prétendent descendre des dieux ; il n’est pas raisonnable de nous refuser à croire ce qu’ils nous en disent, eux qui sont leurs fils, lors même qu’ils ne mettent à l’appui de leur dire aucune raison péremptoire ou vraisemblable, puisqu’ils nous affirment que ce qu’ils nous rapportent sont des traditions de famille qui leur sont bien connues. »

N’a-t-on pas imaginé que le mouvement des corps célestes fonctionne à l’aide des mêmes procédés que les machines de notre invention ! — Voyons si nous en savons davantage sur les choses du domaine de la nature dont nous nous occupons. Pour celles auxquelles, de notre propre aveu, notre science ne peut atteindre, n’est-il pas ridicule de leur forger de toutes pièces un corps, et de leur prêter des formes autres que les leurs, qui soient entièrement de notre invention, comme il arrive à propos du mouvement des planètes ? Notre esprit ne pouvant arriver à déterminer ni à concevoir comment ce mouvement s’effectue, nous imaginons des ressorts matériels, lourds, de modèles déterminés : « Le timon était d’or, les jantes des roues de même métal et leurs rayons d’argent (Ovide). » On dirait que nous avons eu des cochers, des charpentiers, des peintres qui sont allés là-haut dresser les engins nécessaires pour ces mouvements, agencer les rouages et l’enchevêtrement des corps célestes aux couleurs variées, suivant ce que, d’après Platon, commandaient les nécessités du but à atteindre : « Le monde est un édifice immense, entouré de cinq zones, traversé obliquement par une bordure enrichie de douze signes rayonnants d’étoiles, où ont accès le char de la Lune et ses deux coursiers (Varron) » ; ce ne sont là que songes et fantastiques folies. Que ne plaît-il à la nature de nous entr’ouvrir un jour son sein, pour nous laisser voir à découvert ce qui produit et règle ses mouvements, et nous ouvrir les yeux. Dieu ! que d’abus, que de mécomptes provenant de notre pauvre science, nous constaterions ! Je serais bien trompé, si nous trouvions une seule de ces assertions qui soit juste, et si nous n’en acquérions la conviction que ce dont nous sommes le plus ignorants, c’est de notre ignorance.

En somme, la philosophie nous présente toutes choses sous forme d’énigme comme font les poètes. — N’ai-je pas lu