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sont authentiques ; d’autres qui ne le sont pas et sur lesquels plane le doute ; certains ne sont pas encore admis en paradis : « Puisque nous ne les jugeons pas encore dignes de l’honneur du ciel, permettons-leur d’habiter les terres que nous leur avons accordées (Ovide). » — Nous en trouvons qui sont physiciens, poètes, d’autres qui n’ont pas d’attributions ; certains tiennent de la nature divine et de la nature humaine ; ils intercèdent pour nous, sont nos médiateurs auprès de la divinité ; le culte de nombre d’entre eux était restreint et d’ordre secondaire ; d’autres avaient à l’infini des titres et des charges ; les uns étaient bons, les autres mauvais : il y en avait de vieux et cassés, de mortels ; Chrysippe estimait qu’au dernier cataclysme devant produire la fin du monde, tous, sauf Jupiter, cesseraient d’être. Enfin, l’homme forge mille rapports, souvent plaisants, entre Dieu et lui ; ne vont-ils pas jusqu’à être compatriotes : « L’île de Crète, berceau de Jupiter (Ovide). »

L’esprit qui veut pénétrer les mystères de la nature, s’y perd ; à combien d’idées diverses n’a pas donné lieu la matière dont est formé le soleil ! — Le grand pontife Scévola et Varron, le grand théologien de son époque, nous donnent à cela l’excuse suivante : « Il est nécessaire que beaucoup de vérités soient ignorées du peuple, et qu’il croie beaucoup d’assertions qui ne sont pas » ; « comme il ne cherche la vérité que pour s’affranchir, soyons certains qu’il est de son intérêt d’être trompé (S. Augustin) ». L’œil de l’homme ne peut se rendre compte des choses que sous les formes dont il a notion. Vous souvient-il du saut que fit ce malheureux Phaéton pour avoir voulu, lui, simple mortel, prendre en main les rênes des chevaux de son père ? notre esprit s’émeut, s’égare et s’expose à une chute semblable, quand sa témérité lui fait affronter pareilles impossibilités. Demandez à la philosophie de quoi est composé le soleil ; que vous répond-elle, sinon qu’il est composé de fer, de pierre ou de telle autre matière dont nous faisons usage. — Demandez à Zénon ce que c’est que la nature : « C’est, vous dira-t-il, un feu qui est une sorte d’artisan ayant la faculté d’engendrer et procédant d’après des règles invariables — Archimède, ce maître en cette science qui se décerne la préséance sur toutes les autres comme ne connaissant que du vrai et du certain, vous dit : « Le soleil est un dieu de fer en ignition. » Voilà vraiment une belle définition, résultat de ces soi-disant irréfutables conclusions auxquelles aboutissent les démonstrations de la géométrie, science dont la nécessité et l’utilité ne sont cependant pas tellement incontestables, que Socrate n’ait estimé qu’il suffisait d’en savoir assez pour arpenter la terre que l’on acquiert ou dont on se défait ; et que Polynæus, qui en avait été un des maîtres les plus fameux et les plus illustres, ne l’ait prise en mépris, comme pleine d’erreurs et de vanité apparente, après avoir goûté les doux fruits des jardins d’Épicure, si chers aux timides. — À ce propos, Socrate, dans Xénophon, parlant d’Anaxagore que l’antiquité considérait comme plus entendu que personne autre aux choses célestes