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l’estre offencé sont egalement tesmoignages d’imbecillité : c’est donc follie de craindre Dieu. Dieu est bon par sa nature ; l’homme par son industrie, qui est plus. La sagesse diuine, et l’humaine sagesse n’ont autre distinction, sinon que celle-la est eternelle. Or la durée n’est aucune accession à la sagesse. Parquoy nous voyla compagnons. Nous auons vie, raison et liberté, estimons la bonté, la charité, et la iustice : ces qualitez sont donc en luy. Somme le bastiment et le desbastiment, les conditions de la diuinité, se forgent par l’homme selon la relation à soy. Quel patron et quel modele ! Estirons, esleuons, et grossissons les qualitez humaines tant qu’il nous plaira. Enfle toy pauure homme, et encore, et encore, et encore,

Non, si te ruperis, inquit.

Profectò non Deum, quem cogitare non possunt, sed semetipsos pro illo cogitantes, non illum, sed seipsos, non illi, sed sibi comparant.Es choses naturelles les effects ne rapportent qu’à demy leurs causes. Quoy cette-cy ? elle est au dessus de l’ordre de Nature, sa condition est trop hautaine, trop esloignée, ct trop maistresse, pour souffrir que noz conclusions l’attachent et la garottent. Ce n’est par nous qu’on y arriue, cette routte est trop basse. Nous ne sommes non plus pres du ciel sur le mont Senis, qu’au fond de la mer consultez en pour voir auec vostre astrolabe.Ils ramenent Dieu iusques à l’accointance charnelle des femmes, à combien de fois, à combien de generations. Paulina femme de Saturninus, matrone de grande reputation à Rome, pensant coucher auec le Dieu Serapis, se trouue entre les bras d’vn sien amoureux, par le macquerellage des prestres de ce temple. Varro le plus subtil et le plus sçauant autheur Latin, en ses liures de la Theologie, escrit, que le secrestin de Hercules, iectant au sort d’vne main pour soy, de l’autre, pour Hercules, ioüa contre luy vn soupper et vne garse : s’il gaignoit, aux despens des offrandes s’il perdoit, aux siens. Il perdit, paya son soupper et sa garse. Son nom fut Laurentine, qui veid de nuict ce Dieu entre ses bras, luy disant au surplus, que le lendemain, le premier qu’elle rencontreroit, la payeroit celestement de son salaire. Ce fut Taruncius, ieune homme riche, qui la mena chez luy, et auec le temps la laissa heritiere. Elle à son tour, esperant faire chose aggreable à ce Dieu, laissa heritier le peuple Romain. Pourquoy on luy attribua des honneurs diuins. Comme s’il ne suffisoit pas, que par double estoc Platon fust originellement