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sont deux. S’il est en soy-mesme, ce sont encore deux, le comprenant, et le comprins. Selon ces dogmes, la nature des choses n’est qu’vne ombre ou fausse ou vaine.Il m’a tousiours semblé qu’à vn homme Chrestien cette sorte de parler est pleine d’indiscretion et d’irreuerence : Dieu ne peut mourir, Dieu ne se peut desdire, Dieu ne peut faire cecy, ou cela. Ie ne trouue pas bon d’enfermer ainsi la puissance diuine soubs les loix de nostre parolle. Et l’apparence qui s’offre à nous, en ces propositions, il la faudroit representer plus reueremment et plus religieusement.Nostre parler a ses foiblesses et ses deffaults, comme tout le reste. La plus part des occasions des troubles du monde sont Grammariens. Noz procez ne naissent que du debat de l’interpretation des loix ; et la plus part des guerres, de cette impuissance de n’auoir sçeu clairement exprimer les conuentions et traictez d’accord des Princes. Combien de querelles et combien importantes a produit au monde le doubte du sens de cette syllabe, Hoc ? Prenons la clause que la logique mesmes nous presentera pour la plus claire. Si vous dictes, Il faict beau temps, et que vous dissiez verité, il faict donc beau temps. Voyla pas vne forme de parler certaine ? Encore nous trompera elle. Qu’il soit ainsi, suyuons l’exemple : si vous dites, Ie ments, et que vous dissiez vray, vous mentez donc. L’art, la raison, la force de la conclusion de cette-cy, sont pareilles à l’autre, toutesfois nous voyla embourbez. Ie voy les philosophes Pyrrhoniens qui ne peuuent exprimer leur generale conception en aucune maniere de parler car il leur faudroit vn nouueau langage. Le nostre est tout formé de propositions affirmatiues, qui leur sont du tout ennemies. De façon que quand ils disent, Ie doubte, on les tient incontinent à la gorge, pour leur faire auouër, qu’aumoins assurent et sçauent ils cela, qu’ils doubtent. Ainsin on les a contraints de se sauuer dans cette comparaison de la medecine, sans laquelle leur humeur seroit inexplicable. Quand ils prononcent, l’ignore, ou, le doubte, ils disent que cette proposition s’emporte elle mesme quant el quant le reste : ny plus ny moins que la rubarbe, qui pousse hors les mauuaises humeurs, et s’emporte hors quant et quant elle mesmes. Cette fantasie est plus seurement conceuë par interrogation : Que sçay-ie ? comme ie la porte à la deuise d’vne balance.Voyez