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plient à nostre bestise, pour nous emmieller et attirer par ces opinions et esperances, conuenables à nostre mortel appetit. Si sont aucuns des nostres tombez en pareil erreur, se promettants apres la resurrection vne vie terrestre et temporelle, accompagnée de toutes sortes de plaisirs et commoditez mondaines. Croyons nous que Platon, luy qui a eu ses conceptions si celestes, et si grande accointance à la diuinité, que le surnom luy en est demeuré, ait estimé que l’homme, cette pauure creature, eust creature, eust rien en luy d’applicable à cette incomprehensible puissance ? et qu’il ait creu que nos prises languissantes fussent capables, ny la force de nostre sens assez robuste, pour participer à la beatitude, ou peine eternelle ?

Il faudroit luy dire de la part de la raison humaine : Si les plaisirs que tu nous promets en l’autre vie, sont de ceux que i’ay senti çà bas, cela n’a rien de commun auec l’infinité. Quand tous mes cinq sens de nature, seroient combles de liesse, et cette ame saisie de tout le contentement qu’elle peut desirer el esperer, nous sçauons ce qu’elle peut : cela, ce ne seroit encore rien. S’il y a quelque chose du mien, il n’y a rien de diuin : si cela n’est autre, que. ce qui peut appartenir à cette nostre condition presente, il ne peut estre mis en compte. Tout contentement des mortels est mortel. La recognoissance de nos parens, de nos enfans, et de nos amis, si elle nous peut toucher et chatouiller en l’autre monde, si nous tenons encores à vn tel plaisir, nous sommes dans les commoditez terrestres et finies. Nous ne pouuons dignement conceuoir la grandeur de ces hautes et diuines promesses, si nous les pouuons aucunement conceuoir. Pour dignement les imaginer, il les faut imaginer inimaginables, indicibles et incomprehensibles, et parfaictement autres, que celles de nostre miserable experience. Œuil ne sçauroit voir, dit Sainct Paul : et ne peut monter en cœur d’homme, l’heur que Dieu prepare aux siens. Et si pour nous en rendre capables, on reforme et rechange nostre estre, comme tu dis Platon par tes purifications, ce doit estre d’vn si extreme changement et si vniuersel, que par la doctrine physique, ce ne scra plus nous :

Hector erat tunc cùm bello certabat, at ille
Tractus ab Emonio non erat Hector equo ;

ce sera quelque autre chose qui receura ces recompenses.

Quod mutatur, dissoluitur, interit ergo :
Traiiciuntur enim partes atque ordine migrant.