Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/254

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contant leurs Atomes, leurs Idées, et leurs Nombres. Ils estoyent trop sages pour establir leurs articles de foy, de chose si incertaine, et si debattable. Mais en cette obscurité et ignorance du monde, chacun de ces grands personnages, s’est trauaillé d’apporter vne telle quelle image de lumiere : et ont promené leur ame à des inuentions, qui eussent au moins vne plaisante et subtile apparence, pourueu que toute fausse, elle se peust maintenir contre les oppositions contraires : Vnicuique ista pro ingenio finguntur, non ex scientiær vi. Vn ancien, à qui on reprochoit, qu’il faisoit profession de la Philosophie, de laquelle pourtant en son iugement, il ne tenoit pas grand compte, respondit que cela, c’estoit vrayement philosopher.Ils ont voulu considerer tout, balancer tout, et ont trouué cette occupation propre à la naturelle curiosité qui est en nous. Aucunes choses, ils les ont escrites pour le besoin de la societé publique, comme leurs religions et a esté raisonnable pour cette consideration, que les communes opinions, ils n’ayent voulu les esplucher au vif, aux fins de n’engendrer du trouble en l’obeyssance des loix et coustumes de leur pays.Platon traitte ce mystere d’vn icu assez descouuert. Car où il escrit selon soy, il ne prescrit rien à certes. Quand il fait le legislateur, il emprunte vn style regentant et asseuerant : et si y mesle hardiment les plus fantastiques de ses inuentions : autant vtiles à persuader à la commune, que ridicules à persuader à soymesme : scachant combien nous sommes propres à receuoir toutes impressions, et sur toutes, les plus farouches et enormes. Et pourtant en ses loix, il a grand soing, qu’on ne chante en publiq que des poësies, desquelles les fabuleuses feintes tendent à quelque vtile fin : estant si facile d’imprimer touts fantosmes en l’esprit humain, que c’est iniustice de ne le paistre plustost de mensonges profitables, que de mensonges ou inutiles ou dommageables. Il dit tout destrousseement en sa Republique, que pour. le profit des hommes, il est souuent besoin de les piper. Il est aisé à distinguer, les vies sectes auoir plus suiuy la verité, les autres I’vtilité, par où celles cy ont gaigné credit. C’est la misere de nostre condition, que souuent ce qui se presente à nostre imagination pour le plus vray, ne s’y presente pas pour le plus vtile à nostre vie. Les plus hardies sectes, Epicurienne, Pyrrhonienne, nouuelle Academique, encore sont elles contrainctes de se plier à la loy ciuile, au bout du compte.Il y a d’autres subiects qu’ils ont belutez, qui à gauche, qui à dextre, chacun se trauaillant d’y