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vante, qui avait saisi le motif de ce dérangement, lui dit en riant de ne pas s’en mettre davantage en peine, que c’était elle qui les avait placés dans un récipient où il y avait eu du miel. Il s’irrita de ce qu’elle lui enlevait ainsi l’occasion de cette recherche et ôtait matière à sa curiosité : « C’est un déplaisir que tu me causes, lui dit-il ; mais, va, je n’en rechercherai pas moins comment cela a eu lieu, comme si c’était un effet de la nature. » Et certainement il n’eût pas manqué de découvrir une raison présentant les apparences de la vérité, pour expliquer une chose qui n’était pas et n’existait que dans son esprit. Cette aventure survenue à un fameux et grand philosophe, nous peint bien le goût de l’étude arrivé à l’état de passion, au point que nous sommes désespérés d’arriver à connaitre les choses dont nous nous amusons à poursuivre la connaissance. — Plutarque cite un pareil exemple de quelqu’un qui se refusait à être renseigné sur ce qui le laissait indécis, afin de n’être pas privé de la satisfaction de chercher par lui-même ; comme cet autre qui ne voulait pas que son médecin lui fit passer l’altération que lui causait la fièvre, pour ne pas perdre le plaisir de boire pour assouvir sa soif. « Mieux vaut apprendre des choses inutiles, que de ne rien apprendre (Sénéque). » Ici, aussi bien qu’en fait de nourriture, le plaisir que nous prenons est souvent tout ce qui en résulte ; ce que nous mangeons qui nous est agréable, n’est pas toujours nutritif ou sain, de même ce que notre esprit tire de la science ne laisse pas d’être voluptueux, alors même que ce n’est ni profitable, ni salutaire.

L’étude de la nature est également une occupation où se complaît notre esprit. — Voici comment ces philosophes s’expriment à cet égard : « La contemplation de la nature nourrit l’esprit ; elle nous élève et nous grandit ; elle fait que par comparaison avec les choses d’ordre supérieur et célestes, nous nous détachons de ce qui est bas et tient à la terre ; la recherche des choses grandioses qui nous sont cachées, est très attachante par elle-même, même pour celui qui n’en retire d’autre fruit que des motifs de plus pour les respecter et craindre d’en porter jugement » ; ce sont là les termes mêmes qu’ils emploient. — Le peu de sérieux qui est au fond de cette curiosité passée à l’état de maladie, apparait encore mieux dans cet exemple qu’ils citent souvent comme leur faisant honneur : Eudoxe souhaitait qu’il lui fût donné, ne fut-ce qu’une seule fois, de voir le soleil de près, d’en saisir la constitution, la grandeur, la beauté ; il priait les dieux de lui accorder cette faveur, dut-il, du mème coup, en être brûlé ; au prix de sa vie, il demandait à acquérir cette science, dont au même moment il devait perdre l’usage et la possession, et, pour cette connaissance d’un instant et éphémère, il renonçait à toutes autres qu’il possédait déjà et pouvait encore acquérir.

À quelle fin ont été mis en avant les Atomes d’Épicure, les Idées de Platon, les Nombres de Pythagore. — Je ne me persuade pas aisément qu’Epicure, Platon et Pythagore nous aient