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sont les esprits simples et qui ne sont pas curieux, comparés à ceux qui scrutent et dogmatisent les choses divines et humaines ! Rien de ce qui touche l’homme ne présente une plus incontestable utilité, que cette simplicité. En cette disposition, il apparait nu et vide, conscient de sa faiblesse naturelle, mais susceptible cependant de recevoir d’en haut, dans une certaine mesure, la force qui lui fait défaut ; étranger à toutes connaissances humaines, il est par là d’autant plus préparé à ce que la science divine élise domicile en lui ; il fait abstraction de son propre jugement, pour faire plus large place à la foi ; il croit et n’introduit aucun dogme contraire aux lois et à ce qui est d’observance générale ; humble, obéissant, discipliné, studieux, ennemi juré de l’hérésie, il est par suite exempt de ces vaines opinions contraires à la religion, introduites par les sectes dissidentes ; c’est une page blanche, prête à recevoir tout ce qu’il plaira à Dieu d’y tracer. Nous valons d’autant plus que nous nous reportons davantage vers Dieu et que, renonçant à nous-mêmes, nous nous remettons plus complètement à lui : « Accepte de bonne grâce, dit l’Ecclésiaste, les choses avec la forme et le goût sous lesquels, au jour le jour, elles se présentent à toi ; le reste est en dehors de ce que tu peux arriver à connaître : Dieu sait que les pensées des hommes ne sont que vanité. »

Les dogmatistes prétendent avoir trouvé la vérité ; leur assurance ne fait guère que masquer leur doute et leur ignorance. — Donc, sur trois catégories embrassant la généralité des sectes philosophiques, deux font profession expresse de doute et d’ignorance ; quant à la troisième, celle des dogmatistes, il est aisé de reconnaitre que la plupart ne semblent affirmer que pour se donner meilleure contenance ; ils n’ont pas tant en vue de nous amener à quelque certitude, qu’à nous montrer à quel degré ils en sont arrivés, dans cette chasse à la poursuite de la vérité que « les savants supposent, plutôt qu’ils ne la connaissent ». — Pour initier Socrate à ce qu’il sait des dieux, du monde et des hommes, Timée lui propose de s’en entretenir d’homme à homme, et de tenir comme suffisantes les raisons qu’il donnera, si elles ont ce même caractère de probabilité qu’on admet pour des questions autres ; car pour ce qui est de raisons indiscutables dans toute la force du terme, il n’en peut produire, ni lui, ni tout autre mortel quel qu’il soit. C’est ce qu’un philosophe de cette école exprime ainsi dans un discours de compréhension facile et fort connu sur le mépris de la mort : « Je m’expliquerai comme je pourrai ; mais n’allez pas prendre mes paroles pour des oracles, comme si elles sortaient de la bouche d’Apollon pythien ; faible mortel, je ne poursuis que le probable (Ciceron). » Ailleurs, ce même philosophe traduit le texte même de Platon : « Si, discourant sur la nature des dieux et l’origine du monde, je m’explique imparfaitement, n’en soyez pas étonnés ; rappelez-vous que moi qui vous parle et vous qui m’écoutez, nous sommes des hommes et que vous n’avez rien à me demander de plus que des probabilités (Cicéron). » — Aristote, lui, nous présente d’ordinaire une foule d’opi-