Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/238

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noire, ils argumentent au rebours, qu’elle est blanche. Si vous dites qu’elle n’est ny l’vn, ny l’autre, c’est à eux à maintenir qu’elle est tous les deux. Si par certain iugement vous tenez, que vous n’en scauez rien, ils vous maintiendront que vous le sçauez. Oui, et si par vn axiome affirmatif vous asseurez que vous en doutez, ils vous iront debattant que vous n’en doulez pas ; ou que vous ne pouuez iuger el establir que vous en doutez.Et par cette extremité de double, qui se secoue soy-mesme, ils se separent et se diuisent de plusieurs opinions, de celles mesmes, qui ont maintenu en plusieurs façons, le double et l’ignorance. Pourquoy ne leur sera-il permis, disent-ils, comme il est entre les dogmatistes, à l’vn dire vert, à l’autre iaulne, à eux aussi de doubter ? Est-il chose qu’on yous puisse proposer par l’aduouer ou refuser, laquelle il ne soit pas loisible de considerer comme ambigue ? Et où les autres sont portez, ou par la coustume de leur païs, ou par l’institution des parens, ou par rencontre, comme par vne tempeste, sans iugement et sans choix, voire le plus souvent auant l’aage de discretion, à telle ou telle opinion, à la secte ou Stoïque ou Epicurienne, à laquelle ils se treuuent hypothequez, asseruiz et collez, comme à vne prise qu’ils ne peuuent desmordre : ad quamcumque disciplinam, velut tempestate, delati, ade am, tanquam ad saxum, adhærescunt : pourquoy, à ceux-cy, ne sera-il pareillement concedé, de maintenir leur liberté, et considerer les choses sans obligation et seruitude ? Hoc liberiores et solutiores, quod integra illis est iudicandi potestas. N’est-ce pas quelque aduantage, de se trouuer desengagé de la necessité, qui bride les autres ? Vaut-il pas mieux demeurer en suspens que de s’infrasquer en lant d’erreurs que I’humaine fantasie a produictes ? Vaut-il pas mieux suspendre sa persuasion, que de se mesler à ces diuisions seditieuses et querelleuses ? Qu’iray-ie choisir ? Ce qu’il vous plaira, pourueu que vous choisissiez. Voila vne sotte responce : à laquelle il semble pourtant. que tout le dogmatisme arriue : par qui il ne nous est pas permnis d’ignorer ce que nous ignorons. Prenez le plus fameux party, iamais il ne sera si seur, qu’il ne vous faille pour le deffendre, attaquer et combattre cent et cent contraires partis. Vaut-il pas mieux se tenir hors de cette meslée ? Il vous est permis d’espouser comme vostre honneur et vostre vie, la creance d’Aristote sur l’eternité de l’ame, et desdire et desmentir Platon là dessus, et à