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iugent, que ceux-là qui pensent l’auoir trouuée, se trompent infiniement ; et qu’il y a encore de la vanilé trop hardic, en ce second degré, qui asseure que les forces humaines ne sont pas capables d’y atteindre. Car cela, d’establir la mesure de nostre puissance, de cognoistre et juger la difficulté des choses, c’est vne grande et extreme science, de laquelle ils doubtent que l’homme soit capable.

Nil sciri quisquis putat, id quoque nescit,
An sciri possit, quo se nil scire fatetur.

L’ignorance qui se scait, qui se iuge, et qui se condamne, ce n’est pas vne entiere ignorance. Pour l’estre, il faut qu’elle s’ignore soymesme. De façon que la profession des Pyrrhoniens est, de bransler, doubter, et enquerir, ne s’asseurer de rien, de rien ne se respondre. Des trois actions de l’ame, l’imaginatiue, l’appetitiue, el la consentante, ils en reçoiuent les deux premieres : la derniere, ils la soustiennent, et la maintiennent ambigue, sans inclination, ny approbation d’vne part ou d’autre, tant soit-elle legere. Zenon peignoit de geste son imagination sur cette partition des facultez de l’ame La main espandue et ouuerte, c’estoit apparence : la main à demy serrée, et les doigts vn peu croches, consentement : le poing fermé, comprehension : quand de la main gauche il venoit encore à clorre ce poing plus estroit, science. Or cette assiette de leur iugement droicte, et inflexible, receuant lous obiects sans application et consentement, les achemine à leur Ataraxie ; qui est vne condition de vie paisible, rassise, exempte des agitations que nous receuons par l’impression de l’opinion et science, que nous pensons auoir des choses. D’où naissent la crainte, l’auarice, l’enuie, les desirs immoderez, l’ambition, l’orgueil, la superstition, l’amour de nouvelleté, la rebellion, la desobeyssance, l’opiniastreté, et la pluspart des maux corporels.Voire ils s’exemplent par là, de la ialousie de leur discipline. Car ils debattent d’vne bien molle façon. Ils ne craignent point la reuenche à leur dispute. Quand ils disent que le poisant va contre-bas, ils seroient bien marris qu’on les en creust ; et cherchent qu’on les contredie, pour engendrer la dubitation et surseance de iugement, qui est leur fin. Ils ne mettent en auant leurs propositions, que pour combattre celles qu’ils pensent, que nous ayons en nostre creance. Si vous prenez la leur, ils prendront aussi volontiers la contraire à soustenir : tout leur est vn : ils n’y ont aucun choix. Si vous establissez que la neige soit