Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 2.djvu/234

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nant tousiours soubs la dubitation de l’Academie. Dicendum est, sed ita vt nihil affirmem : quæram omnia, dubitans plerumque et mihi diffidens.I’auroy trop beau ieu, si ie vouloy considerer l’homme en sa commune façon et en gros : et le pourroy faire pourtant par sa regle propre ; qui iuge la verité non par le poids des voix, mais par le nombre. Laissons là le peuple,

Qui vigilans stertit,
Mortua cui vita est propè iam viuo atque videnti,

qui ne se sent point, qui ne se iuge point, qui laisse la plus part de ses facultez naturelles oisiues. Ie veux prendre l’homme en sa plus haulte assiette. Considerons-le en ce petit nombre d’hommes excellens et triez, qui ayants esté douez d’vne belle et particuliere force naturelle, l’ont encore roidie et aiguisée par soin, par estude et par art, et l’ont montée au plus hault poinct de sagesse, où elle puisse atteindre. Ils ont manié leur ame à tout sens, et à tout biais, l’ont appuyée et estançonnée de tout le secours estranger, qui luy a esté propre, et enrichie et ornée de tout ce qu’ils ont peu emprunter pour sa commodité, du dedans et dehors du monde : c’est en eux que loge la haulteur extreme de l’humaine nature. Ils ont reglé le monde de polices et de loix. Ils l’ont instruit par arts et sciences, et instruit encore par l’exemple de leurs mœurs adınirables. Ie ne mettray en compte, que ces gens-là, leur tesmoignage, et leur experience. Voyons iusques où ils sont allez, et à quoy ils se sont tenus. Les maladies et les desfauts que nous trouuerons en ce college-là, le monde les pourra hardiment bien aduouër pour siens.

Quiconque cherche quelque. chose, il en vient à ce poinct, ou qu’il dit, qu’il l’a trouuée ; ou qu’elle ne se peut trouuer ; ou qu’il en est encore en queste. Toute la Philosophie est despartie en ces trois genres. Son dessein est de chercher la verité, la science, et la certitude. Les Peripateticiens, Epicuriens, Stoiciens, et autres, ont pensé l’auoir trouuée. Ceux-cy ont estably les sciences, que nous auons, et les ont traictées, comme notices certaines. Clitomachus, Carneades, et les Academiciens, ont desesperé de leur queste ; et iugé que la verité ne se pouuoit conceuoir par nos moyens. La fin de ceux-cy, c’est la foiblesse et humaine ignorance. Ce party a eu la plus grande suitte, et les sectateurs les plus nobles. Pyrrho et autres Sceptiques ou Epechistes, de qui les dogmes plusieurs anciens ont tenu tirez d’Homere, des sept sages, et d’Archilochus, et d’Eurypides, et y attachent Zeno, Democritus, Xenophanes, disent, qu’ils sont encore en cherche de la verité. Ceux-cy