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dit Ciceron. Nous disons bien puissance, verité, iustice : ce sont parolles qui signifient quelque chose de grand : mais cette chose là, nous ne la voyons aucunement, ny ne la conceuons. Nous disons que Dieu craint, que Dieu se courrouce, que Dieu ayme.

Immortalia mortali sermone notantes.

Ce sont toutes agitations et esmotions, qui ne peuuent loger en Dieu selon nostre forme, ny nous l’imaginer selon la sienne : c’est à Dieu seul de se cognoistre et interpreter ses ouurages : et le fait en nostre langue, improprement, pour s’aualler et descendre à nous, qui sommes à terre couchez. La prudence comment luy peut elle conuenir, qui est l’eslite entre le bien et le mal : veu que nul mal ne le touche ? Quoy la raison et l’intelligence, desquelles nous nous seruons pour par les choses obscures arriuer aux apparentes : vou qu’il n’y a rien d’obscur à Dieu ? La iustice, qui distribue à chacun ce qui luy appartient, engendrée pour la société et communauté des hommes, comment est-elle en Dieu ? La temiperance, comment ? qui est la moderation des voluptez corporelles, qui n’ont nulle place en la diuinité. La fortitude à porter la douleur, le labeur, les dangers, luy appartiennent aussi peu : ces trois choses n’ayans nul accés pres de luy. Parquoy Aristote le tient egallement exempt de vertu et de vice. Neque gratia neque ira teneri potest, quod que talia essent, imbecilla essent omnia.La participation que nous auons à la cognoissance de la verité, quelle qu’elle soit, ce n’est point par nos propres forces que nous l’auons acquise. Dieu nous a assez appris cela par les tesmoings, qu’il a choisi du vulgaire, simples et ignorans, pour nous instruire de ses admirables secrets. Nostre foy ce n’est pas nostre acquest, c’est vn pur present de la liberalité d’autruy. Ce n’est pas par discours ou par nostre entendement que nous auons receu nostre religion, c’est par authorité et par commandement estranger. La foiblesse de nostre 3 iugement nous y aide plus que la force, et nostre aueuglement plus que nostre clair-voyance. C’est par l’entremise de nostre ignorance, plus que de nostre science, que nous sommes sçauans de diuin sçauoir. Ce n’est pas merueille, si nos moyens naturels et terrestres ne peuuent conceuoir cette cognoissance supernaturelle et celeste :. apportons y seulement du nostre, l’obeissance et la subiection : car